Jimetta Rose : "Le spiritual jazz est absolument vital"

Si l’aventure du Worldwide a démarré sur une plage, c’est bien l’écrin unique du Théâtre de la Mer sétois qui a offert à ce festival ses premières lettres de noblesse. Réunir dans ce lieu merveilleux les formations les plus authentiques et les pointures du dancefloor reste toujours une équation hasardeuse pour qui ne s'appelle pas  Gilles Peterson. Cette année encore, sur ces marches de rêve qui plongent dans la mer, le public enchanté se plaît à croiser Tokyo Jazz Massive, Holy Tongue, Isaiah Collier, ou encore les pionniers de l’acid-jazz Galliano. Jeudi soir, c’est la tornade soul-jazz de Los Angeles Jimetta Rose et son gospel fusionnel qui ont transporté une foule conquise par sa fougue et celle de son chœur The Voices of Creation.

Comment vous sentez-vous après ce concert incroyable, Jimetta Rose ?

Je me sens vraiment bien ce soir, on vient de terminer un concert fantastique, il y avait tellement d’énergie sur scène, tellement d’amour, et tout simplement de joie. Partout où l’on tournait nos yeux, les gens était sur nous, c’était vraiment une grande énergie. Gilles avait eu la gentillesse de nous inviter l’an dernier à découvrir le festival et on avait passé un super moment, mais là c’était vraiment une expérience très spéciale et on est très heureux d’être de retour ici.

Comment est né votre chœur "The Voices of Creation" ?

A l’origine, j'avais vraiment ces chansons en tête que j'écrivais mais qui ne sonnaient pas correctement pour une chanteuse solo. Je les chantais pour me sentir mieux après avoir traversé différentes épreuves. J’ai commencé à envisager sérieusement de ne plus chanter, parce que je me disais que je ne savais pas comment faire pour que ça fonctionne. Mais j'avais vraiment besoin de chanter, vraiment. Alors, l’idée m’est venue de fonder une chorale communautaire à qui je pourrais apprendre ces chansons. Et donc, à la base, le projet n'était certainement pas l'ambition de se retrouver ici sur scène, mais bien quelque chose qui pourrait nous aider et nous permettre d’offrir une voie à notre talent. Je savais que j'avais besoin de chanter, il fallait donc que je trouve un moyen de le faire et qui me permette de rester heureuse. Et ce groupe, la pureté de ce groupe et les messages que nous transmettons et que j'écris sont très inspirants. Cela m'a donc permis de m'élever et m'a aidé à continuer à guider ce navire, même s'il s'agissait au départ d'une vision plus modeste.

Aujourd’hui, je continue à répondre à l'appel et je me dis : "Nous pouvons le faire, oui, nous le pouvons". Et, vous savez, je suis vraiment reconnaissante de la raison d'être de la musique, parce que parfois les gens disent "Oh, tu aurais dû réussir, tu aurais dû faire ça". J'ai donc décidé d'être un peu plus clair sur ce que c'était. Et je me suis dit que je voulais laisser un héritage. Je veux créer une culture. Je veux faire de la musique. Et je veux faire davantage de prières, de foi et de joie, toutes ces choses dont nous avons besoin en tant qu'êtres humains, surtout à notre époque.

Comment avez-vous recruté les choristes qui vous accompagnent ?

La plupart d'entre eux font partie du groupe depuis le début. Au début, je cherchais des gens, pas nécessairement des chanteurs professionnels, mais des gens qui voulaient chanter pour se soigner et soigner les autres. En cours de route, j'ai trouvé des chanteurs très talentueux et nous avons tous évolué professionnellement pour former cette équipe soudée et ouverte aux talents de chacun. Ce soir, dans notre cercle de gratitude, nous avons parlé des dons de chacun. Le fait est que chaque personne a un don. Et il y a beaucoup de dons à partager, à explorer et à trouver. Il s'agit donc de faire en sorte que chaque personne se sente spéciale, parce qu'il n'y a personne d'autre comme vous. Il est donc important pour nous de chanter cela, de ressentir cela, de danser avec cela, afin que nous puissions nous souvenir de vous.

Vous dites que la musique peut aider à guérir, et qu'elle vous a aidé à guérir... Quel est le secret de cette guérison ?

Je ne pense pas que ce soit vraiment un secret. Je pense que l'exploitation et la commercialisation de la musique et de notre art ont détourné notre attention de la véritable raison pour laquelle nous chantons. Et vous savez, si vous entendez quelqu'un souffrir et que sa douleur est grande, il gémit généralement. Ce gémissement est en fait une chanson en devenir, c'est la douleur en vous qui se libère. Pour moi, il ne s'agit pas de savoir si ça marche ou pas. Je pense qu'il s'agit de savoir si l'on fait attention à ce que ça marche. C'est pourquoi nous disons à tout le monde de prêter attention au fait que nous pouvons influencer ce que nous ressentons. Nous pouvons nous sentir mieux, nous pouvons être meilleurs en changeant nos pensées. Et c'est de cela qu'il s'agit dans cette musique. Et c'est ce que le chœur pousse à faire.

Vous avez lancé votre concert avec une version puissante du Let The Sunshine In de Sons and Daughters of Lite... Quelle est l'histoire de cette reprise ?

Eh bien, la reprise est née de mon amour pour cette chanson. J'adore cette chanson et j'avais pris l'habitude de la chanter avec toutes sortes de mélodies différentes. Quand je l'écoutais, je ne chantais jamais ce qu'ils disaient, et je disais d'autres choses pour pouvoir chanter avec eux. Alors quand j'ai commencé la chorale, je me suis dit que nous devrions y apporter plus de voix et la rendre plus amusante à la fin. Et donc, oui, c'est devenu une grande chanson. Et je pense que c'est le pouvoir de faire une reprise. Si vous avez du respect et de l'amour pour une chanson, vous pouvez faire ressortir d'autres couleurs et ramener la chanson à la conscience. Et les gens écoutent aussi l'ancienne chanson. C'est donc génial de poursuivre la lignée de la musique.

Vous avez partagé la scène ce soir avec un autre prodige, Isaiah Collier, qui a aussi réalisé un concert incroyable. Quel est votre regard sur ce jeune musicien ?

J'aime beaucoup Isaiah et c'est merveilleux de rencontrer des artistes comme lui qui ont une vision de leur musique. Isaiah est l'une de ces personnes. C'est une chose fantastique que de se mettre au diapason, de se synchroniser, de se tenir ensemble dans notre mission et de la faire rayonner. Et je pense qu'avec Isaiah, il y a encore beaucoup de choses à venir et avec nous tous, tant que nous vivrons, il y aura encore beaucoup de choses à venir. Mais j'ai hâte de regarder Isaiah Collier et de grandir avec lui, il est un frère pour moi.

Kahil El'Zabar  assurait ici-même l'an passé que le spiritual jazz peut encore répondre aux questions de notre temps. Partagez-vous ce point de vue ?

Absolument. Est-ce que je pense qu'il peut répondre à notre époque ? Je pense que c'est LA réponse à notre époque. Je pense que la raison pour laquelle je fais ce genre de musique est que j'ai découvert ce que j'appelle le jazz spirituel. J'ai trouvé Alice Coltrane, j'ai trouvé Sun Ra, j'ai trouvé Max Roach et Abbey Lincoln. J'ai découvert Doug Carn et Jean Karn. Ces artistes m'ont ouvert l'esprit sur la façon dont la musique pouvait être. J'ai donc l'impression que c'est ce qui a nourri ce processus et cette création.

Mais quand on pense au monde d'aujourd'hui, de quoi le monde a-t-il le plus besoin ? D'esprit. De l'esprit, pas de la cupidité, pas de l'argent. Nous avons toutes ces choses et elles ne nous font aucun bien, mais l'esprit et la connexion à l'autre au-delà du physique. Car nous voyons les différences avec la peau, les cheveux et tout ça, mais à l'intérieur, nous sommes des esprits. Et c'est une chose, une chose en train de se produire. Nous devenons donc plus spirituels. Nous nous rappelons que nous sommes dans le même bateau. Je pense donc que le monde n'a besoin de rien d'autre que de plus d'esprit en ce moment. C’est pour cela que le spiritual jazz est absolument vital.