La mère du petit Grégory ou les fantasmes maléfiques du fait divers

Christine Villemin
Christine Villemin
Christine Villemin par Denis Robert
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La mère du petit Grégory ou les fantasmes maléfiques du fait divers

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Portrait | "Il fallait une sorcière à cette époque, et cette sorte de loto infernal est tombé sur cette petite femme qui vivait à Lépanges-sur-Vologne et qui s’appelle Christine Villemin." Denis Robert a suivi l'affaire Gregory depuis 1984. Il fait le portrait de Christine Villemin, la mère du petit Grégory.

Le 16 octobre 1984, Gregory Villemin, 4 ans, est retrouvé mort dans la Vologne. Denis Robert, tout jeune journaliste à Libération, est envoyé pour couvrir le fait divers. 34 ans, des centaines d'articles, et un livre plus tard (J'ai tué le fils du chef, le roman de la Vologne, Hugo doc éditions, 2018), Denis Robert dresse le portrait du personnage clé de cette infernale affaire : la mère de Grégory, Christine Villemin. Pour cette "femme admirable", 34 ans de suspicions, de drames, d'erreurs judiciaires, de manipulations crapuleuses, de mythe durassien et de haine populaire alors que rien ne prédisposait à un tel destin.

55 min

1984 : la mort de Grégory

Denis Robert : "Christine Villemin est effondrée.Tout le monde se souvient de son cri de douleur lors de l’enterrement. Les enquêteurs commencent à avoir un suspect crédible : Bernard Laroche, le cousin du père de Grégory. Christine Villemin est partie civile dans ce dossier, et elle pense que Laroche et des complices vont être arrêtés. Et puis toujours en 1984-85, il va y avoir un retournement de situation orchestré par les avocats de Bernard Laroche, des journalistes et des policiers de Nancy qui veulent récupérer le dossier. Ce basculement va la voir accusée".

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Juillet 1985 :  Christine Villemin est accusée d’avoir tué Grégory, emprisonnée, puis libérée mais toujours suspectée

Denis Robert : "Les policiers essaient par tous les moyens de la coincer. On va inventer des charges contre elle, des cordelettes, des manipulations de scellés. Des choses abjectes ont été faites. 

Tous ces enquêteurs, ces policiers, ces psychiatres ont voulu faire d’elle un portrait qui collait avec le meurtre.
Non seulement on a tué son enfant. En plus on l’a accusée de ce crime en inventant quelqu’un d’autre. Même la littérature, même Marguerite Duras s’y est mise pour inventer un personnage maléfique".

En 1985, Marguerite Duras écrit un tribune dans Libération consacrée à Christine Villemin : "Sublime, forcément sublime Christine V."  

"Dès que je vois la maison, je crie que le crime a existé. Je le crois. Au-delà de toute raison […]. On l’a tué dans la douceur ou dans un amour devenu fou."

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1993 : Christine Villemin bénéficie d'un non lieu total et définitif.  

Denis Robert : "Christine Villemin a été complètement innocentée. C’est la première fois dans les annales judiciaires en France qu’un non lieu est donné pour absence totale de charges. Ce qui est fascinant aussi quand on a du recul, et j’en ai beaucoup - 34 ans quand même !
c’est de voir la folie collective dans laquelle tout le monde est tombé. 

Elle n’était pas du tout prédestinée au destin qui est devenu le sien. C’est quelqu’un de simple. On l’a un peu caricaturée en idiote, en disant qu’elle lisait des bouquins d’Harlequin, etc. D’abord tous les gens qui lisent Harlequin ne sont pas idiots.

Ca a été beaucoup écrit dans les médias, comme elle savait peu gérer les médias, par facilité, les gens sont tombés sur ce genre de détail. Une chose qui a beaucoup parasité leur histoire, son histoire, ce sont les avocats, et en particulier son avocat. Garaud, pour des questions mercantiles pures et simples, pour toucher des honoraires, a un peu manipulé les parents. Il a fait poser Christine Villemin pour des magazines comme “Paris Match”, a négocié des exclusivités de photos de naissance d’enfant, l’a fait maquiller pour des studios, etc. De sorte que l’effet au niveau de l’opinion et du public a été désastreux. Les gens se sont dit : “mais qu’est-ce que c’est que cette femme qui a perdu son enfant et qui sourit aux caméras”. Alors qu’elle était mangée par la douleur. 

Tout le monde a projeté des fantasmes maléfiques autour d’elle. Vous êtes un individu normal, vous allez à l’école, vous avez un boulot. Et soudain, on brosse de vous un portrait à des années lumière, mais tout le monde commence à y croire. C’est une espèce de folie. Comment résister à ça ? Elle a su résister. Mais il faut qu’elle tienne le coup jusqu’au bout. Et qu’il y ait un procès au final pour qu’on approche de cette vérité. Je trouve qu’elle est admirable, surtout vu ce qui se passe en ce moment.

On voit que les seuls qui veulent la vérité dans ce dossier, en dehors des juges et des enquêteurs, ce sont eux, ce sont les parents. Autour d’eux, il y a des forces contraires très violentes. Violentes pas depuis quelques années, mais depuis 34 ans. Et je trouve qu’on lui doit ce procès. Le “on” c’est la société". 

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