Faire mentir le réel pour le dire : création d'une "automythographie" durassienne : épisode • 5/5 du podcast Avoir raison avec... Marguerite Duras

Marguerite Duras sur le tournage de l'émission littéraire Apostrophes avec Yann Andrea ©Getty - jean paul guilloteau
Marguerite Duras sur le tournage de l'émission littéraire Apostrophes avec Yann Andrea ©Getty - jean paul guilloteau
Marguerite Duras sur le tournage de l'émission littéraire Apostrophes avec Yann Andrea ©Getty - jean paul guilloteau
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Duras court à la recherche de l’expression du réel, du quotidien et de sa banalité, en mêlant la fiction et la réalité jusqu’à ce qu’on ne puisse plus en discerner les frontières… Duras nous avait prévenu, elle qui avait dit "l’histoire de ma vie n’existe pas."

Avec
  • Mireille Calle-Gruber professeur de littérature et esthétique à la Sorbonne Nouvelle
  • Joëlle Pagès-Pindon Chercheuse

Nous ouvrons la dernière décennie de son œuvre littéraire. Après avoir passé les années 70 à principalement tourner, réaliser, écrire des films, elle se replonge dans l’écriture à partir des années 80, avec des œuvres au style très différent de celui d’avant son cinéma… Et parallèlement, c’est aussi le moment où sa stature d’écrivain devient extrêmement prégnante dans le paysage de la société française, et où commence déjà, de son vivant, à se créer un mythe autour de sa personne.

Mais comment a-t-elle participé à la construction de ce mythe ? Quelle est la spécificité de son écriture dans les années 80 ? Comment l’ambiguïté durassienne atteint-elle son acmé dans les œuvres réalisées et écrites dans ces années-là, et comment celles-ci se font-elles un éloge de la banalité ?

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Quelques questions que nous explorerons avec :

Mireille Calle-Gruber, professeur de littérature et esthétique à la Sorbonne Nouvelle et l’auteure de Marguerite Duras, la noblesse de la banalité

Joëlle Pagès-Pindon, professeure de lettres, et l’auteure de Marguerite Duras, l’écriture illimitée

Sublime, forcément sublime. Le réel ne peut-il exister que pour faire vivre la fiction ?

On a beaucoup parlé de la Duras de littérature, de cinéma ou encore de théâtre, mais assez peu de la Duras journaliste… Pourtant, c’est un acte d’écriture important dans sa vie… Et son article le plus connu, ce sera celui consacré à Christine Villemin, la mère du petit Gregory, ce meurtre qui a agité la France. Il faut noter qu’au moment où elle décide d’écrire, c’est la mère qui est la principale suspecte, théorie qui a été démontrée fausse depuis, et qui alors aussi ne s’étayait par aucun argument convaincant… Pourtant, Duras décide de la déclarer coupable, forcément coupable, parce qu’elle est femme, parce qu’elle est mère, parce qu’elle est épouse.

"Cette dimension épique que Duras donne à l’enfant, par l’odyssée qu’aurait traversé Christine Villemin de ce qu'elle-aurait subit et souffert, sans qu’on sache très bien quoi., c'est toujours l’indicible et l’impossible à écrire qui donne à Duras le désir de fabulation, de récit . Je pense que Christine.V c’est le cas par excellence qui devait forcement attirer Duras (…) parce que justement elle n’arrive pas à raconter, parce qu’on ne sait rien et que donc tout est à inventer et que c’est le propre et la force de l’écriture d’en faire cette épopée , cette odyssée." Mireille Calle-Gruber

L'Invité des Matins d'été (1ère partie)
21 min

La dame du camion : faire éclore le banal

Il faut peut-être en fait revenir quelques années en arrière pour saisir, au fond, qui était Marguerite Duras… Je pense au film Le Camion, merveille de cinéma et d’invention formelle. Ce film, qui est la lecture d’un scénario entre Duras et Depardieu, chez elle, entrecoupée de plans de paysages des Yvelines plongés dans la brume ou la lumière du matin, c’est l’histoire d’une femme, peut-être échappée d'un asile, qui monte dans le camion et parle avec le conducteur. Dans la postface du film, Duras dira que cette femme, c’est elle…

« Pour Duras, la folie est valorisée. Elle dit « seul les fous écrivent complètement » donc elle-même pense que son écriture se rapproche de la folie. » Joëlle Pagès-Pindon

Les références des archives :

  • Lecture de l'article de Marguerite Duras, "Sublime, forcément sublime Christine V.", 17 juillet 1985 dans Libération, puis extrait de l' archive ITW Marguerite Duras
  • Extrait de l' archive INA
  • Musique finale : Camille Saint-Saëns, Samson et Dalila, Mon cœur s'ouvre à ta voix, Air extrait de l'acte II scène 3, Maria Callas

Bibliographie

  • Le Ravissement de Lol V. Stein, Marguerite Duras, Gallimard, 1964
  • L'Amant, Marguerite Duras, éditions de Minuit, 1984
  • Article Sublime, forcément sublime, paru dans Libération, juillet 1985
  • Les Yeux verts, Marguerite Duras, éditions Les Cahiers du cinéma, 1987
  • Marguerite Duras, l’écriture illimitée, Joëlle Pagès-Pindon, Ellipses, 2012
  • Dictionnaire Marguerite Duras, collectif, Honoré Champion, 2020
  • Marguerite Duras, la noblesse de la banalité, De l'incidence éditeur, 2023

Filmographie

  • Le Camion, Marguerite Duras, 1977
  • Césarée, court-métrage de Marguerite Duras, 1979
  • La Dame des Yvelines, postface du Camion, dans Marguerite Duras, œuvres cinématographiques , édition vidéographique critique, Bureau des Editions multimédias du ministère des Affaires étrangères, 1984.
    Les cinq postfaces vidéo des films de Marguerite Duras ( Nathalie Granger, India Song, Son nom de Venise, Le Camion, ainsi que quatre court-métrages) ont fait l'objet d'une nouvelle numérisation par la Bibliothèque nationale de France et seront publiées sur la bibliothèque numérique Gallica dans le courant de l'année 2024

Une émission réalisée par Anne-Lise Assada, produite par Sophie-Catherine Gallet, avec la collaboration de Marie Dalquie. Un grand merci à Aliette Hovine et Anne-Toscane Viudes pour l'accueil des invités.

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