L’adolescence pavillonnaire

. - Manuel Moutier/ElianeAntoinette/Reboot Films/Altitude 100
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Un film sur l'étrangeté, sur être soi, sur l'adolescence...

Avec
  • Céline Rouzet Chroniqueuse, Reporter, Documentariste, réalisatrice de En Attendant la nuit

C'est un film sur l'étrangeté, un film lumineux et romantique, un film sur l'idée d'être soi et de devenir un autre. C'est un premier long métrage qui plonge ses racines dans une multitude d'œuvres qui le précèdent. Films d'horreur et de genres, de monstres et de vampires, séries d'ailleurs. C'est un film qui raconte l'histoire de Philemon, adolescent livide qui déménage avec sa famille dans une banlieue pavillonnaire afin de vivre pleinement sa vie secrète. Pour survivre, Philemon a besoin du sang des autres. En attendant la nuit, c'est le titre de ce film, un film en salle depuis mercredi dernier, qui a reçu le prix du jury au dernier festival du cinéma fantastique de Gérard Mer.

Un film personnel

"C'est un film qui est vraiment tiré d'un drame que j'ai vécu, qui a touché mon frère. Mon frère est né avec une différence et il a beaucoup subi le rejet des autres. Et ça a mal fini. J'ai eu besoin d'en faire quelque chose, j'avais besoin de raconter cette histoire et je ne savais pas comment. Ce que je savais, c'est que si je la racontais de façon frontale, je n'y arriverais pas. Et un matin, au réveil, l'idée m'a frappée. J'ai trouvé la clé avec le vampire, parce que comme mon frère était petit, il voyait des vampires qui venaient dans sa chambre pour lui parler. Il était terrifié par ces monstres. Et puis, au fil de sa vie, en grandissant, il s'est mis à développer une fascination pour regarder tous les films de vampires qu'il trouvait. Et ce que j'ai compris plus tard, c'est que je crois qu'il se sentait proche de ces créatures forcées de rester dans l'ombre, ces monstres fragiles dont la condition est invisible au premier regard, comme peut l'être le handicap, le mal-être adolescent, la dépression ou toute forme de différence", explique la réalisatrice.

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Les monstres

La réalisatrice explique avoir voulu travailler sur les monstres. "Parce que les monstres, c'est souvent des figures très tourmentées. Les vampires aussi, vous me direz. Les films de monstres, c'est des films d'exclusion. Là, c'est l'histoire d'un très beau et très fragile monstre, et surtout d'un jeune homme qui a les symptômes du vampire, qui cherche sa place dans un monde qui ne lui ressemble pas. et qui va, lui, tout ce qu'il veut, c'est de devenir un homme, sauf que la société va le pousser à devenir un vampire, elle va l'enfermer dans sa condition."

"Ça a été tout un travail d'écriture, et c'est vrai que ça a été le grand défi de l'écriture, c'est comment on en fait un monstre innocent. D'abord, on assiste à sa naissance, on est avec ses parents qui affrontent l'étrangeté de leur enfant, comme ça se passe dans beaucoup de familles, dans beaucoup de naissances. Donc on est d'emblée avec ses parents, avec cette famille, il y a une ironie dramatique. D'emblée, je voulais aussi que cette famille, elle soit très touchante, qu'elle soit finalement, qu'en fait, le familier soit de son côté, qu'on apprivoise l'étrangeté de cette famille, qu'elle soit joyeusement bordélique, avec ses petits défauts, très touchante. La mauvaise foi, par exemple, c'est quelque chose qui est insupportable dans la vraie vie, mais quand on l'écrit, quand c'est des personnages qu'on voit à l'écran et avec qui on est, ça peut être très touchant."

Le réel, subtil

Céline Rouzet explique ses choix. Elle a inscrit son histoire dans les années 1990. "Les années 90, c'est mon adolescence. Donc, c'est vrai que j'ai imaginé d'emblée cette histoire. Elle a toujours été dans ma tête dans ces années-là. Après, c'est une époque où, effectivement, moi, j'avais envie de me débarrasser des portables, des réseaux sociaux. Ça aurait complètement influencé la narration autrement. Et ça ne m'intéressait pas beaucoup. Puis, je crois que se débarrasser de ça, c'est aussi isoler encore plus cette famille qui a peu de moyens et de trouver des solutions différentes. et d'être aidée ou de communiquer entre elles. Et aussi, ça me permettait, un romantisme, de décoller légèrement, subtilement du réel. On est dans un monde réaliste et en même temps, il y a quelque chose qui plane un peu de l'ordre du surnaturel. On est en décalage, toujours. Et c'est vrai que ce trouble en termes d'espace-temps, parce qu'on est dans les années 90, mais en même temps, ce n'est pas un film d'époque pour autant. Ce trouble permet justement ce lyrisme et ce décollement du réel."

Quant à la banlieue pavillonnaire qui rappelle parfois les États-Unis : "en fait, les banlieues pavillonnaires, ça existe en France. Et celle-ci, elle est... Disons que j'ai créé plus un sentiment d'isolement en la collant dans le montage à une forêt et un pont. Donc on l'isole, on la rentrait perdue dans une nature, comme ça. Mais en fait, elle existe réellement. Cette banlieue, elle est bien française. Moi, je ne voulais pas donner l'endroit, parce que justement, je voulais créer un peu ce trouble. mais ça se passe vers Besançon."

"En fait, j'ai découvert Shirley Jackson, cette romancière du fantastique, pendant que j'écrivais ce scénario, que j'écrivais avec William. Et en fait, Shirley Jackson, ce que j'adore, c'est qu'elle va jeter le trouble sur des petits mondes ordinaires, comme le couple, la famille, le village de vacances. Et on a en commun cet amour de lieux où les jardins sont trop verts, les sourires sont un peu trop souriants, finissent par grincer. C'est cette espèce d'endroit de banlieue pavillonnaire avec des maisons qui se ressemblent, des maisons blanches, des gazons un peu trop bien tendus, quelque chose de très solaire, de très souriant. Et ce que j'ai voulu faire comme elle, c'est montrer comment les conventions sociales dissimulent la barbarie. Où se situe vraiment la violence ? Et est-ce que la violence, ce n'est pas aussi la norme ?"

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