L'appli Ten Ten : jeu du spontané ou communication forcée ?

Si vous avez des adolescents connectés, vous en avez sans doute déjà entendu parler. Cette application s’appelle « Ten Ten » et se télécharge par millions, au point d'accaparer, sur les magasins d'application français, la première place dans la catégorie réseaux sociaux, devant les mastodontes que sont WhatsApp, Threads, ou encore Messenger. Or, une fois n’est pas coutume, figurez vous que celle-ci est française ! Mais pouvons-nous en être fiers ?

Ten Ten reprend les modalités de communication du talkie-walkie. Un objet magique, qui permet de converser en secret avec un copain à l’autre bout d’une maison ou d’un jardin. Une façon de s’octroyer son propre canal de communication, de jour comme de nuit, en échappant au téléphone fixe régulé par l’autorité parentale.

Des messages instantanés

Mais à l’heure où les smartphones offrent les mêmes possibilités - sans distance limite, comment expliquer le succès de Ten Ten ? Pour y répondre, petit détour sur son fonctionnement : une fois que l’utilisateur a téléchargé l’application en donnant accès à son répertoire téléphonique et à son micro, il peut inviter des amis. Lorsque ceux-ci acceptent de rejoindre le réseau, ils sont alors joignables en permanence.

Bien que vous soyez en silencieux ou que votre téléphone soit verrouillé, vous pouvez entendre - à tout moment et sans contrôle de votre part - le message délivré par votre interlocuteur : celui ci est audible instantanément via le haut parleur.

Seules solutions pour couper court à ce talkie du XXIème siècle : éteindre votre téléphone, ou le mettre en mode avion. C'est-à-dire pour les accros aux smartphones que nous sommes devenus… ne plus exister socialement.

Le retour du canular

Là est tout le sel de Ten Ten : accepter le jeu fracassant de l’intrusion. Par exemple, celle des propos incommodants d’un copain farceur au moment d’un dîner familial, ou dans une salle de classe. Nous revenons finalement aux joies du canular téléphonique, chose rendu quasi impossible dans notre société de la trace, où les numéros sont identifiés et où la communication par message vocal ou sms est très contrôlée.

Ici, les jeunes générations flirtent avec le risque de l’imprévisible, loin des nouvelles technologies gouvernées par le prédictible. Ten Ten brise le ghosting, ou l’art de se rendre injoignable : les messages non lus, les notifications en vus qui s’accumulent... on ne peut plus échapper au message.

Voilà qui pourrait arranger les parents, souvent les premiers bannis du téléphone, ainsi que les professeurs, qui luttent en permanence avec l’outil pour conquérir l’attention. La menace Ten Ten pourrait être plus efficace que n’importe quelle interdiction pour pousser les lycéens à passer en mode avion.

Ten Ten, c’est donc l’acceptation générale de l’intrusion, le plaisir de l’imprévisible, et la reprise de pouvoir de l’émetteur. Le phénomène passera, mais nous nous rappellerons que nos smartphones, qui ne s’utilisent plus comme des téléphones, ont connu un temps le succès en redevenant des talkie-walkies. À vous !