Tissus africains : pourquoi les teintureries historiques du Nigéria, à Kano, risquent la fermeture

  • Par Salihu Adamu
  • BBC News, Kano
Local dyer Baba Muhammed dips cloth into dye bit in Kano, Nigeria
Légende image, Baba Muhammad craint d'être l'un des derniers teinturiers de Kano.

Depuis plus de six siècles, une vaste zone située dans la ville historique de Kano, dans le nord du Nigeria, abrite des teintureries, où de magnifiques tissus sont fabriqués selon des techniques anciennes.

Les tissus - teints d'un bleu profond - sont depuis longtemps vendus en Afrique et au Moyen-Orient.

Mais beaucoup s'inquiètent de voir cette industrie menacée.

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"La jeune génération ne veut pas se joindre aux teinturiers", se plaint Baba Muhammad, accroupi près d'une large fosse remplie d'un liquide sombre de couleur indigo.

L'homme de 75 ans plonge un morceau de tissu dans le trou, les mains recouvertes de gants en caoutchouc.

Le vieux teinturier craint d'être l'une des dernières personnes à pratiquer cet ancien rituel, les jeunes ayant des goûts plus modernes.

"Ils préfèrent se lancer dans les affaires, ils aiment concevoir les tissus, mais pas les teindre", explique-t-il.

Les "hommes bleus du désert"

Les teintureries de Kofar Mata - établies au tournant du XVIe siècle - étaient autrefois une source de revenus pour des milliers de personnes de la région.

Les motifs uniques des tissus sont généralement créés par les femmes, qui tordent et nouent le tissu chez elles en différentes formes pour produire les motifs. Les tissus noués sont ensuite confiés aux teinturiers.

Dyer submerges cloth into blue dye in Kano, Nigeria
Légende image, Des ingrédients naturels sont utilisés pour teindre le tissu.

La ville de Kano est un centre économique important pour le nord du Nigeria et était une étape cruciale du commerce transsaharien à l'époque précoloniale.

Les historiens racontent que les Touaregs - les "hommes bleus du désert", ainsi nommés en raison de la couleur frappante de leurs vêtements - avaient l'habitude de visiter l'ancienne ville.

Ils y échangeaient des chameaux et des dattes contre des tissus aux teintes éclatantes.

L'attrait des tissus de Kofar Mata était en grande partie dû aux ingrédients naturels d'origine locale utilisés pour teindre les vêtements.

Aujourd'hui encore, les teinturiers affirment qu'ils évitent les ingrédients artificiels et recourent à des matières telles que la plante indigo locale, qui donne sa couleur au tissu.

L'insécurité menace le commerce

Mais durant ces dernières années, cette ancienne tradition a dû faire face à une myriade de menaces.

L'une d'entre elles est l'insurrection de Boko Haram, qui a entraîné une raréfaction des clients, notamment ceux qui voyagent dans le nord-est du Nigeria, où les militants islamistes sont actifs. Cette situation a également eu un impact sur ceux qui viennent de plus loin.

Seules 15 des teintures de puits de Kofar Mata sont aujourd'hui utilisées - il y a quelques décennies, il y en avait en très grand nombre.
Légende image, Seules 15 des teintures de puits de Kofar Mata sont aujourd'hui utilisées - il y a quelques décennies, il y en avait en très grand nombre.

"Avant, les touristes venaient ici en permanence, en provenance du monde entier : La France, l'Allemagne, le Royaume-Uni et l'Amérique - mais le problème de l'insécurité dans le nord du Nigeria a affecté le commerce", explique Baballiya Hamisu, l'un des teinturiers.

À 37 ans, Hamisu est l'un des plus jeunes teinturiers travaillant dans les puits.

"J'ai commencé à teindre à l'âge de 10 ans, donc je fais ce métier depuis environ vingt-cinq ans", dit-il.

Pourtant, Hamisu dit qu'il est assez âgé pour être nostalgique de cette forme d'art en voie de disparition.

"Quand j'étais enfant, ici, se souvient-il, les teintureries étaient en très grand nombre, mais aujourd'hui nous n'en avons que 144, dont pas plus de 15 sont utilisées."

Kano fait partie des villes à la croissance la plus rapide d'Afrique subsaharienne. Durant ces dernières années, elle a été le théâtre de démolitions très controversées d'un certain nombre de ses sites historiques, démolitions jugées nécessaires par le gouvernement, qui veut en faire une ville moderne.

Close up of a dye pit filled with a murky indigo liquid
Légende image, Cet indigo liquide et trouble était le secret du succès des teintureries au cours des siècles.

Tijjani Muhammad Naniya, historien à l'université Bayero de Kano, affirme que l'urbanisation n'est pas la seule menace sur les teintureries.

"Le problème est né d'une politique coloniale visant à transformer l'économie de Kano, qui a vu la ville importer des vêtements de Manchester et d'autres villes à l'étranger", explique-t-il.

L'avènement des tissus importés bon marché est un problème majeur pour les teinturiers locaux. Ils affirment que, bien que les prix soient relativement les mêmes, la concurrence est rude, de nombreux clients étant attirés par les nouveaux modèles modernes.

Men hanging up freshly dyed blue cloths in Kano, Nigeria
Légende image, Les motifs sont créés par les femmes, qui nouent le tissu à la maison, avant l'étape des puits.

La plupart des hommes qui travaillent dans les puits sont des descendants de teinturiers, comme Haruna Baffa, le responsable des puits de teinture de Kofar Mata, qui dit être de la septième génération.

Le visage souriant, il retrace la riche histoire de sa famille : "J'ai hérité cette entreprise de mon père, mon père l'a héritée de son père - c'est de génération en génération. Mon septième arrière-grand-père, Muhammadu Dabosa, est le fondateur du centre de teinture."

Les teinturiers affirment qu'ils ne reçoivent aucune aide publique du gouvernement ou des pouvoirs publics locaux.

Hamisu estime que des efforts peuvent être faits pour préserver cette importante industrie.

"Si le gouvernement peut acheter nos produits et encourager les gens à faire de même, nous prospérerons", a-t-il dit.

"Imaginez que le président ou un gouverneur porte l'un de nos tissus Kofar Mata, peu importe la valeur qu'il semble avoir, il deviendra précieux", ajoute Hamisu.