"On ne choisit pas" (ses voisins, ses ancêtres...) : les ressorts d'une formule qui fait mouche

Détail de l'affiche de "Chasse gardée" - Antonin Fourlon
Détail de l'affiche de "Chasse gardée" - Antonin Fourlon
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Détail de l'affiche de "Chasse gardée" - Antonin Fourlon
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En cette semaine d’ouverture du festival de Cannes, c'est une petite coïncidence cinématographique qui en dit peut-être long.

Il s’agit de deux films qui ne seront pas présents à Cannes, je vous préviens tout de suite. Mais dont le succès commun me fait cogiter depuis plusieurs semaines. En regardant les statistiques du Box-Office - et notamment en scrutant, comme c’est mon habitude, les films qui cartonnent hors de Paris - j’y ai repéré deux blockbusters au touche-à-touche, qui ont totalisé chacun près de deux millions d’entrées depuis leur sortie. Le premier s’intitule Chasse gardée ; le second, Cocorico.

Ces deux comédies ont en commun d’avoir eu beaucoup de succès en province, de compter Didier Bourdon au générique, et surtout – surtout – ce qui est le plus intrigant : de partager presque la même petite phrase en complément du titre. « Chasse gardée : on ne choisit pas ses voisins » ; « Cocorico : on ne choisit pas ses ancêtres ».

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« On ne choisit pas ». Il faut croire que le ressort vise juste, et touche quelque chose de l’époque

Mais quoi ? Cela fait plus d’un mois que j’y réfléchis. J’ai regardé Chasse Gardé : c’est une comédie bon enfant qui rit avec et contre les clichés sur les néo ruraux et sur les chasseurs. Je n’ai pas pu voir Cocorico qui n’est plus en salle, mais je me suis fait raconter. Il y est question, là, de la vie et de ses surprises qui se jouent des préjugés sociaux et ethniques. J’ai aussi interrogé quelques personnes de-ci de-là, et après mûres réflexions, je crois qu’il y a plusieurs échos à ce « On ne choisit pas ».

J’ai pensé, notamment, au livre d’Agathe Cagé intitulé « Classes Figées ». Selon l’essayiste, la capacité que ressent chacun de pouvoir réagir face aux risques et à l’inattendu est devenue la première des inégalités ; celle qui structure le plus la société. Pour beaucoup de Français, la question centrale est désormais : « ai-je la ressource et le ressort nécessaire pour m’adapter face à une situation subie (l’école qui ferme, l’employeur qui déménage, le voisinage qui change etc) ? » Ce que l’on ne choisit pas est donc un bon un thème à exorciser dans une comédie.

Une deuxième explication - non moins pertinente - est que nous avons tous basculé dans la société du « lien choisi »

C’est très frappant avec Internet : on est en relation avec la France entière voire la terre entière, mais seulement avec les gens qui sont d’accord avec nous. Et avec lesquels on peut s’entendre. Cette bulle d’affinités rend toute incursion « subie » de plus en plus insupportable. Ce qui n’est guère encourageant pour la fraternité, ni pour l’avenir.

Cependant, ce que traduisent ces films, c’est justement la nécessité de transcender, et de pacifier cela. La majorité des citoyens a conscience que si nous n’y parvenons pas, la société va se briser en mille morceaux. Je crois qu’au fond, le succès de ces films dit qu’on ne choisit pas…mais qu’on tente quand même toujours de faire ensemble.

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