Pourquoi les amitiés d’enfance sont si importantes ?

"Elle disait vingt, et pas vingt.
Elle n’avait jamais mangé d’huile d’olive.
Elle n’allait pas au catéchisme le mercredi après-midi.
Elle avait choisi le basket. Et la GRS.
Elle était la meilleure élève de la classe.
La plus jolie aussi.
Elle avait 11 ans et je ne sais toujours pas pourquoi on s’est choisi.
Peut-être pour tout ça et bien plus encore.
Trente ans plus tard, elle est toujours là.
Ses enfants sont mes filleuls.
Et elle, demeure ma meilleure amie.
Mon amie d’enfance.
Celle qui me raccroche aux heures joyeuses de ces années d’apprentissage." Eva Roque

L'amitié, est-ce dû au hasard ?

Kevin Diter, sociologue, est l'auteur d'une thèse intitulée « L'enfance des sentiments ». Il a passé de nombreuses heures à observer les enfants dans la cour de récréation et dans les classes. Il explique que l'amitié, à l'école, se fait au sein des classes, et pas forcément par âge. Et cela débute bien souvent par le jeu. ll précise : "Il y a des théories qui s'appellent l'homogamie et de l'homophilie sociale, c'est-à-dire que qui se ressemble s'assemble, en gros. Et donc, le souci, c'est que pour pouvoir partager des activités, pour pouvoir partager des mêmes goûts, il faut qu'ils soient proches socialement, parce qu'on nous apprend à aimer les mêmes choses, parce que l'amitié, si on vient d'un milieu un peu plus 'supérieur', est beaucoup plus basée sur le langage, sur les jeux d'imagination, alors que du côté des classes populaires, c'est plus sur les activités, notamment le foot dans la cour de récréation, mais ça peut être autre chose, comme la balle américaine, etc. Et donc, rien que sur ces modalités-là, comme on ne fait pas les mêmes choses, qu'on n'aime pas la même chose, c'est difficile de devenir meilleur ami. Mais après, ça peut être lié à la contingence, si on est à côté, ça peut marcher. Les amitiés sont aussi structurées par les parents, qui ont des amis qui leur ressemblent aussi."

Pour Alice Raybaud, journaliste, dans nos liens, finalement, il n'y a jamais tellement de hasard. "Il y a beaucoup de choses qui sont déjà déterminées dans la manière dont on fait lien. Et également sur le plan du genre, où on apprend dès la petite enfance, dès les premiers cours d'école, ce qui est autorisé, ce qui n'est pas autorisé, ce qu'on peut faire pour correspondre à l'idéal du vrai petit garçon, et puis ce qu'on peut faire pour correspondre à l'image de la fille bien, d'une certaine manière. Et tout ça vient, sans même qu'on s'en rende compte finalement, structurer des liens aussi intimes que sont les amitiés."

Faut-il revaloriser l'amitié ?

L'amitié est très importante chez les enfants et les adolescents. Pour Raphaële Moussafir : "En fait, l'amitié, c'est le seul moyen de grandir et de s'affranchir de sa famille. Parce qu'il faut transgresser, parce qu'on va voir ailleurs, parce que tout est subversif, parce que la désobéissance, la démesure... On ne peut pas sortir de son carcan familial sans amitié. Or, il faut absolument le faire."

La joie et le jeu sont aussi le ciment des amitiés d'enfance. Alice Raybaud : "La joie, le jeu, ce qui est aussi de l'ordre d'une forme de lâcher-prise, c'est essentiel et très précieux finalement dans ces amitiés. Cela nous permet de toucher aussi une forme de vulnérabilité essentielle à la construction de soi. Ce qu'on va partager aux autres, va faire qu'on va aussi se laisser toucher par les autres, par le monde, et que l'on va se laisser transformer. Et c'est aussi ce qui se joue finalement dans ces amitiés, ces premiers liens affinitaires crées dès la petite enfance."

L'amitié est très valorisée chez les enfants, mais l'est un peu moins à l'âge adulte. Alice Raybaud : "C'est comme si une fois passé à l'âge adulte, il fallait devenir plus sérieux, se ranger. Si on passe trop de temps avec ses amis, c'est qu'on est un peu un adulte manqué. Il faudrait au contraire investir son temps, son énergie dans la recherche de l'amour romantique, dans la construction, l'entretien de la famille biologique. Alors même que dans l'enfance et l'adolescence, ce sont peut-être d'abord les liens d'amitié qui sont importants, et font même partie d'une certaine valeur sociale au sein de la classe, au sein de son espace social. Plus on a d'amis, plus on est valorisé d'une certaine manière. Et ce temps-là de l'amitié valorisée, il finit par s'effriter au fil des âges."

-> Pour en savoir plus, écoutez cette émission...

Les invité.e.s

Alice Raybaud, journaliste au Monde, autrice de  "Nos puissantes amitiés" Ed. La Découverte
Raphaële Moussafir comédienne, autrice de  "Ne jetez pas les sirènes avec l'eau du bain" (Robert Laffont 2024) et "Du vent dans mes mollets" (roman, BD et film)
Kevin Diter, maître de Conférences en Sociologie Chercheur au CLERSE, auteur d'une thèse intitulée “L'enfance des sentiments"