"De délicieux enfants", de Flore Vesco : un conte troublant en prise avec les préoccupations adolescentes

Détail de la couverture de "De délicieux enfants" de Flore Vesco - L'Ecole des loisirs
Détail de la couverture de "De délicieux enfants" de Flore Vesco - L'Ecole des loisirs
Détail de la couverture de "De délicieux enfants" de Flore Vesco - L'Ecole des loisirs
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Flore Vesco est une autrice qui aime réécrire les contes classiques pour enfants. "De délicieux enfants" est une réécriture moderne et réjouissante du Petit poucet !

Parlons d'un conte mais pas du tout classique !
ll était une fois un bûcheron et une bûcheronne qui avaient sept enfants, tous garçons. Ils étaient fort pauvres, et leurs sept enfants les incommodaient beaucoup. Ce qui les chagrinait encore, c'est que le plus jeune était fort délicat et ne disait mot. Il était fort petit, et, quand... 
— Mais qu'est-ce que ces niaiseries ? »

Vous aurez sans doute reconnu les premières lignes du Petit Poucet.
Imaginez une vieille femme inquiétante entourée d’une bande de gamins pendus à ses lèvres. Ils attendent la suite de l’histoire. Mais plutôt que de continuer sa lecture, devant les enfants stupéfaits, la conteuse arrache les pages du livre, les mâche, et les avale.

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« Allons, commençons. Maintenant que tout est dans mon estomac, je n'ai plus qu'à dégobiller leurs paroles. Ainsi vous les entendrez, chacun, raconter sa version. Et votre Perrault, il peut ranger sa plume délicate, qui s'offense de la chair et du sang. Qu'il ravale ses moralités, son désir d'éduquer les marmots et de recadrer les filles. Dans ma chanson, il y aura des larmes, de la bile, des méchancetés et des enfants crus. Ça ne vous apprendra rien du tout, qu'à trouiller.
Voyons... sept garçons, les parents, les loups, et toute la maisonnée de l'ogre... ça en fait ! »
 
Ainsi commence le nouveau roman de Flore Vesco, De délicieux enfants, et l’on s’en pourlèche les babines.

La maison de l'horreur carré

Vous l’avez compris, il s’agit d’une réécriture du conte de Perrault

L’autrice est spécialiste du genre puisqu’elle s’est déjà inspirée de La Princesse au petit pois pour écrire son précédent roman, D’or et d’oreillers ; et, juste avant, elle revisitait Le Joueur de flûte de Hamelin dans L’Estrange Malaventure de Mirella.
Ce sont deux romans géniaux, d’ailleurs, je le dis au passage, et dans celui-ci, on retrouve la même langue riche, presque rabelaisienne, qui nous immerge instantanément dans un autre temps, et la même volonté de secouer les classiques et de donner voix et pouvoir à des personnages qui, jusque-là, en étaient privés.

Il était une fois, donc, une forêt ; dans cette forêt, une chaumière, et dans cette chaumière, une famille : le père, la mère, les six enfants et enfin « Tipou », c’est comme ça qu’on l’appelle ici ; Tipou, septième enfant minuscule et pas comme les autres. Et chacun, à tour de rôle, va prendre la parole. Ils parlent de leur quotidien, ils parlent les uns des autres ; on comprend qu’ils vivent repliés sur eux-mêmes, qu’ils sont dans la misère, qu’ils ont faim, et qu’ils essaient de faire face à cette faim comme ils peuvent. La différence avec le conte de Perrault, c’est que les parents ont l’air très aimants et qu’on ne les imagine pas vraiment abandonner leurs enfants dans les bois. Le père fait même tout pour les garder à la maison :
"À défaut de viande, je les nourris d'histoires. Chaque soir, je leur sers un conte effroyable. Je veux que la nuit leur imagination leur fasse voir des monstres : ainsi on oublie le gosier insatisfait. Et je veux que le jour leurs cœurs tremblent à l'idée de passer la porte : ma forêt est périlleuse."

Pop & co
5 min

Il y a quand même une ambiance un peu oppressante.

Il y a quelque chose d’étrange, d’un peu cauchemardesque ; on sent une menace qui plane… et on sait pas si c’est la faim, les loups qui rôdent, ou autre chose de plus mystérieux. Donc on est aux aguets, on cherche les similitudes avec le conte qu’on connaît, on repère les pas de côté, et on essaie de deviner où Flore Vesco veut nous emmener. On se doute bien qu’à un moment quelque chose va basculer… et je peux vous dire qu’on n’est pas déçu.

Grand bien vous fasse !
51 min

Ce n’est pas parce que c’est un conte que c’est une histoire pour les petits

Les « enfants » de l’histoire ont quand même entre treize et dix-sept ans, et le roman aborde plein de sujets en lien avec l’adolescence, comme le besoin de prendre des risques, l’éveil du désir, le souci de l’apparence, mais aussi les questions du harcèlement et de l’emprise psychologique. En plus, c’est un roman très littéraire dont la forme peut être déroutante pour les plus jeunes... et puis il faut une certaine maturité, un recul que les petits n’ont pas, pour apprécier cette réécriture engagée et en comprendre le propos, à savoir que les histoires sont puissantes et que celles dont on est « nourris » dans l’enfance structurent à notre insu notre vision de la société, parfois pour le pire.
On remercie donc la fée Flore Vesco de s’être penchée sur Le Petit Poucet pour faire apparaître, sous sa plume virtuose, De délicieux enfants, ce conte troublant, profond et d'une grande modernité.

La question philo
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L'équipe

  • Hannah Pascal
    Production
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