À la vie à la mort, des amitiés médiévales sous la foi du serment : épisode • 2/4 du podcast Histoire de l'amitié. Parce que c'était toi, parce que c'était moi

Miniature d'un manuscrit du "Roman de la Rose" de Guillaume de Lorris et Jean de Meung, 1353 ©Getty - Fine Art Images/Heritage Images
Miniature d'un manuscrit du "Roman de la Rose" de Guillaume de Lorris et Jean de Meung, 1353 ©Getty - Fine Art Images/Heritage Images
Miniature d'un manuscrit du "Roman de la Rose" de Guillaume de Lorris et Jean de Meung, 1353 ©Getty - Fine Art Images/Heritage Images
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Camaraderie entre chevaliers, lien d'un vassal à son suzerain, ou encore sentiment inspiré par Dieu, comment se définit l’amitié au Moyen Âge ? Quels en sont les codes et les pratiques ?

Avec
  • Régine Le Jan Historienne médiéviste, professeure émérite à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, spécialiste du haut Moyen Âge

Est-il simple d’être amis dans le monde franc ? Est-il possible d’être franc en amitié dans l’univers carolingien ? Roland et Olivier, Alcuin et Charlemagne (allez savoir), Saint Louis et Joinville, quelle est la nature de l’amitié entre un vassal et son suzerain, entre deux compagnons partis en guerre, entre deux moines qui suivent la même règle ? Voici venu le temps des Amours médiévales !

L'amitié des élites

Les personnes au Moyen Âge se comprennent à travers leurs relations sociales qui non seulement définissent leur statut, mais tendent aussi à composer leur personnalité. L’amitié joue un rôle central pour définir ces "personnalités relationnelles", selon l’expression de l’historienne Régine Le Jan.

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Pour la noblesse du monde franc, l’amitié est une vertu virile, exaltée par les faits d'armes et chantée dans les épopées. Dans la Chanson de Roland, le héros et son fidèle Olivier sont des compagnons. Ils combattent ensemble et se portent une assistance mutuelle. Lorsqu’Olivier meurt, Roland s’exclame : "Venez vers moi, tout près ; à ma grande douleur, en ce jour, nous serons séparés".

L'amitié entre nobles est centrale dans l'Occident médiéval et investit la relation féodale d’un affect qui dépasse le simple cadre juridique. Outre l'hommage, un suzerain et son vassal ont un lien d'amitié, qui se manifeste notamment par des banquets et des offrandes. "L'échange de cadeaux n'est pas seulement un symbole de l'amitié, il en est le support, étant donné que les objets sont porteurs d'identité dans ces sociétés", insiste Régine Le Jan. Elle ajoute que "les rituels d'amitié manifestent à la fois la proximité entre les amis et leur distinction. L'amitié est un signe distinctif entre les élites." L'historienne précise que "l'amitié peut se développer entre égaux, c'est-à-dire entre personnes de même niveau social, mais elle peut également transcender la hiérarchie et se développer entre un seigneur et son vassal." À cet égard, l'amitié doit être vue et sue par toutes et tous.

Sans oser le demander
58 min

Des amitiés sous le regard de Dieu

Les amitiés médiévales sont recouvertes d'une dimension spirituelle. Le christianisme invite les croyants et croyantes à chercher avant toute chose l’amour de Dieu, qui englobe toutes les autres affections de la société. L’amitié n’est donc pas qu’une vertu civique, comme dans l’Antiquité romaine, c’est aussi un sentiment inspiré par Dieu qui pousse vers autrui. À ce titre, elle est valorisée par les philosophes et les théologiens. Les règles de la vie monastique encouragent l’amitié entre les moines, qui pensent leur communauté sur le modèle de la fraternité du Christ et des apôtres.

De la même manière, la religion permet le développement d’amitiés entre femmes. Les règles de la vie monastique ne sont pas différentes d’un genre à l’autre et le couvent peut même constituer un espace de liberté pour les religieuses, propice aux liens amicaux plus forts. Régine Le Jan rappelle toutefois que les femmes sont plus difficiles à percevoir dans les sources. Elle cite une forme d'amitié homme-femme observée dans les correspondances spirituelles, entre des femmes de la cour et leur directeur de conscience : "Par exemple, on a des lettres d'Alcuin à des aristocrates anglo-saxonnes, à des princesses carolingiennes, ou à des grandes aristocrates."

Concordance des temps
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Pour en savoir plus

Régine Le Jan est historienne médiéviste, professeure émérite à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Ses recherches croisent histoire et anthropologie au sujet du monde franc et du haut Moyen Âge.

Publications :

  • Amis ou ennemis ? Émotions, relations, identités au Moyen Âge, Seuil, 2024
  • Les Mérovingiens, Presses universitaires de France, collection Que sais-je ?, 2006
  • La Société au haut Moyen Âge, Armand Colin, 2003
  • Femmes, pouvoir et société dans le haut Moyen Âge, Éditions Picard, 2001
  • Famille et pouvoir dans le monde franc (VIIe - Xe siècle). Essai d'anthropologie sociale, Éditions de la Sorbonne, 1995

Références sonores

Archives INA :

  • Archive de l'historien Yannick Carré à propos du baiser sur la bouche au Moyen Âge, Les lundis de l'histoire, France Culture, 31 mai 1993
  • Archive de l'historien Michel Lesure lisant un extrait de La Chanson de Roland de Girart de Vienne, composé par Bertrand de Bar-sur-Aube (fin 12e siècle - début 13e siècle), Heure de culture française, RTF, 11 janvier 1954

Lectures par Daniel Kenigsberg :

  • Extrait de la chronique du moine de Saint-Gall Ekkehard, vers le milieu du 11e siècle
  • "Poème à un ami absent" d'Alcuin (v. 730-804)
  • Extrait des Histoires de Raoul Glaber, vers l’an 1000

Musique du générique : Gendèr par Makoto San, 2020

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