Copains comme Romains, des amitiés sous condition : épisode • 1/4 du podcast Histoire de l'amitié. Parce que c'était toi, parce que c'était moi

"Virgile, Horace et Varius chez Mécène", toile de Charles Jalabert (1819-1901), 1846, Nîmes, Musée des Beaux-Arts ©Getty - Leemage/Corbis via Getty Images
"Virgile, Horace et Varius chez Mécène", toile de Charles Jalabert (1819-1901), 1846, Nîmes, Musée des Beaux-Arts ©Getty - Leemage/Corbis via Getty Images
"Virgile, Horace et Varius chez Mécène", toile de Charles Jalabert (1819-1901), 1846, Nîmes, Musée des Beaux-Arts ©Getty - Leemage/Corbis via Getty Images
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L’amitié romaine, "amicitia", recouvre une réalité bien plus large que notre amitié contemporaine. Des devoirs amicaux aux ruptures très codifiées, l’amitié assure la cohésion de la République puis de l'Empire dans une société romaine sous-administrée où l’amitié joue le rôle de relais du pouvoir.

Avec
  • François Prost Directeur de recherche en philosophie et littérature latines à Sorbonne Université
  • Arnaud Suspène Professeur d'histoire ancienne à l'Université d'Orléans

Qu'il est difficile pour l’historien, l’historienne, de saisir la nature des liens, parfois intimes, qui unissent les individus. C’est le cas avec la sympathie et l’affection entre deux personnes : quelle est la part de l'intérêt, de la sincérité ? Pourquoi être ami avec celui-ci plutôt qu'avec celui-là ? Il y a des affinités, mais pas seulement. Ne soyons pas naïfs et romantiques quand il s’agit de l’amitié dans la Rome antique.

Des amitiés publiques et politiques

Dans le monde antique, les relations interpersonnelles sont liées à la vie collective et publique. L’amitié y tient une place centrale, bien davantage que dans nos sociétés contemporaines. De la République à l'Empire, Rome s’étend et l’administration ne parvient pas à encadrer efficacement cet espace immense aux possessions toujours plus lointaines. L’amitié joue alors le rôle de relais du pouvoir et assure la cohésion du monde latin. L’amitié est politique et utilitaire.

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François Prost, chercheur en philosophie et littérature latines, souligne que "l'amitié romaine a partie liée avec une structuration sociale propre à Rome : la relation de patronat." C'est "une société très hiérarchisée et inégalitaire, qui met en relation un personnage important – un grand politique –, avec une pyramide descendante de citoyens qui lui sont rattachés par des liens personnels et réciproques." Le patronus aide politiquement et socialement ses amis, qui le rétribuent en retour par des services et un soutien électoral.

Une affaire de sentiments et d'affects

La dimension très pragmatique de l'amitié romaine n’exclut pas toute notion d’affect et de sentimentalisme. "On trouve des protestations d'amitié extrêmement touchantes et sensibles dans le Laelius de Cicéron où il est question du manque qu'on éprouve quand l'ami n'est pas là, le desiderium, et de la joie, de l'agrément qu'il y a à être auprès de ses amis, la jucunditas", décrit l'historien Arnaud Suspène.

Fort de l’héritage culturel hellénique, le monde romain a adopté la philosophie comme une manière de vivre, de se comporter, de penser son rapport à soi-même et à autrui. Des présocratiques aux épicuriens, l’amitié est une question fondamentale de la philosophie antique. Si les différentes écoles philosophiques en proposent des définitions variables, toutes s’accordent sur un point : l’amitié doit être vertueuse, car elle est une chose publique et reflète la vertu de la cité toute entière.

Des amitiés codifiées

L'importance considérable accordée à l’amitié entraîne une codification et une ritualisation poussées de ces relations. Les amis bénéficient de faveurs, mais seulement au prix d’un certain nombre de devoirs : le devoir d'assistance mutuel, l’obligation de s'inviter fréquemment à partager des repas ou des récitations littéraires, ne pas oublier les anniversaires, se soutenir lors des moments difficiles de l’existence… Les devoirs sont nombreux et y manquer n’est pas rare. Dès lors, la rupture devient un risque. Elle est pourtant considérée comme un dernier recours : la réconciliation est particulièrement valorisée et, si la rupture devient inévitable, elle doit se faire sans fracas ni démesure. Rompre avec un ami est lourd de conséquence : plus question d’accéder à sa maison, à l’ensemble de ses espaces privés, ni de commercer avec lui.

Comment expliquer la place fondamentale de l’amitié dans le monde romain ? Comment concilier le pragmatisme d’amitiés utilitaires avec des impératifs d’éthique et de vertu morale ?

Concordance des temps
59 min

Pour en savoir plus

Arnaud Suspène est professeur d'histoire ancienne à l’Université d'Orléans.
Il a notamment publié :

  • Aureus. Le pouvoir de l'or, co-dir. Maryse Blet-Lemarquand, Frédérique Duyrat, Sylvia Nieto-Pelletier, Ausonius, 2023
  • Rome et les provinces : monnayage et histoire. Mélanges offerts à Michel Amandry, co-dir. Laurent Bricault, Andrew Burnett, Vincent Drost, Ausonius, 2017
  • "Amitiés politiques - D'Oreste et Pylade à nos jours", Parlement[s], Hors-série N° 11, sous sa direction, Presses universitaires de Rennes, 2016

François Prost est directeur de recherche en philosophie et littérature latines à Sorbonne Université.
Il a publié :

  • Cicéron, L’Amitié, traduit par Robert Combès, notes de François Prost, Les Belles Lettres, 2019 (réed.)

Références sonores

Extraits de films :

  • Troie de Wolfgang Petersen, 2004
  • Ben-Hur de William Wyler, 1959
  • Astérix et la Surprise de César de Gaëtan et Paul Brizzi, 1985

Lectures par Daniel Kenigsberg :

  • Extrait de Lysis (Sur l'amitié), de Platon, 5e/4e siècle av. notre ère
  • Extrait de Laelius. De amicitia, 22, de Cicéron, écrit vers -44
  • Extrait de Petit Manuel de la campagne électorale de Quintus Tullius Cicero, -64

Musique du générique : Gendèr par Makoto San, 2020

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