Sans-culottes mais cul et chemise, amitiés en Révolution : épisode • 3/4 du podcast Histoire de l'amitié. Parce que c'était toi, parce que c'était moi

Départ d'un soldat volontaire pour les armées révolutionnaires combattant aux frontières, dessin de Jean-Baptiste Lesueur, vers 1790 - CC0 1.0 Musée Carnavalet, Histoire de Paris
Départ d'un soldat volontaire pour les armées révolutionnaires combattant aux frontières, dessin de Jean-Baptiste Lesueur, vers 1790 - CC0 1.0 Musée Carnavalet, Histoire de Paris
Départ d'un soldat volontaire pour les armées révolutionnaires combattant aux frontières, dessin de Jean-Baptiste Lesueur, vers 1790 - CC0 1.0 Musée Carnavalet, Histoire de Paris
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Quelle coloration politique peut prendre l’amitié au 18e siècle ? Quelle évolution subit le concept d’amitié sous la Révolution ? Quels liens d’amitié unissent les révolutionnaires ? Le concept de fraternité se substitue-t-il à celui d’amitié à la période révolutionnaire ?

Avec
  • Philippe Bourdin Professeur d'histoire moderne à l'Université Clermont Auvergne, membre senior de l'Institut universitaire de France
  • Karine Rance Maîtresse de conférences en histoire contemporaine à l'Université Clermont Auvergne
  • Côme Simien Maître de conférences en histoire moderne à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

L'expression "comme cul et chemise" est à la fois populaire, familière et très imagée. Dans leur Bouquet des expressions imagées, Claude Duneton et Sylvie Claval notent qu'elle est ancienne. Déjà présente chez Oudin en 1640, elle décrit une amitié proche : "Ce n'est qu'un cul et une chemise", autrement dit, ils sont toujours ensemble. Et puis, c'est devenu l'expression que nous connaissons. Quelle forme particulière prend l'amitié sous la Révolution française ? De quoi est-elle l'héritière et quelle nouvelle amitié annonce-t-elle ?

Les amitiés à l'épreuve de la Révolution

Face à un événement aussi fort qu’une révolution, qui ne laisse personne indemne, les liens d’amitié évoluent. Ils sont rompus, resserrés, se recomposent, changent de forme… Le salon de Mme Roland en est un exemple. Fondé en 1791, il s'appuie sur des amitiés préexistantes de Manon Roland et de son époux, forgées au gré de rencontres ou d'échanges épistolaires. On y "développe une pensée utopique avec l'idée d'aller fonder une communauté rurale exemplaire dans un endroit isolé du monde – les États-Unis ou l'Auvergne. Mais cela n'arrive pas. Le flot continu de la Révolution les emporte vers d'autres rives, certaines des amitiés vont se déliter, à l'heure où le groupe constitué autour des Roland se met à personnifier la Gironde", relate l'historien Philippe Bourdin.

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La Révolution est un événement exceptionnel, sensible et vécu, qui met à l’épreuve les amitiés anciennes et permet à de nouvelles amitiés de naître. Certains amis sont séparés, d’autres au contraire se découvrent à la faveur des événements révolutionnaires, alors qu’ils ne se seraient probablement jamais croisés, car leurs horizons géographiques et leurs mondes sociaux étaient trop éloignés. On pense bien sûr aux révolutionnaires, et notamment aux relations de  Robespierre et Danton ou de Robespierre et Desmoulins, mais les contre-révolutionnaires ne sont pas en reste et leurs amitiés doivent s’adapter aux exils des émigrés, à l’absence et aux réseaux de correspondances.

Des amitiés fatales

Le combat politique, l’engagement, les opinions et valeurs communes sont autant de raisons de se rapprocher et de fonder une amitié. Certaines relations politiques s’articulent ainsi à des liens amicaux. Pour Robespierre, Desmoulins ou Saint-Just, l’amitié est un critère pour sélectionner des gens de confiance avec qui mener une action politique. En temps de crise, l’amitié fait office de repère pragmatique et de refuge, elle permet de déposer un moment les armes loin des affrontements politiques, comme le rappelle l'historienne Karine Rance : "Dans cet entre-soi, les amis peuvent se livrer à une intimité qui n'est pas forcément autorisée dans l'espace public." À l’inverse, d’autres amitiés explosent à la période révolutionnaire, à cause de trahisons, de délations, de brouilles massives. Robespierre signe ainsi l’ordre d’arrestation de Danton.

Le Cours de l'histoire
52 min

L'amitié, ferment du bonheur

Au-delà des amitiés concrètes qui les unissent, les révolutionnaires, en particulier Saint-Just, s’attachent à théoriser l’amitié, dont ils font le fondement d’une société nouvelle et d’un lien civique permettant de construire la République et la nation. L’amitié est en effet le signe d’une ouverture aux autres, d’une capacité au désintéressement, qui est la preuve qu’on sait faire primer l’intérêt général sur l’intérêt individuel. L'historien Côme Simien souligne que les révolutionnaires ont privilégié le sentiment d'amitié à celui d'amour : "Les révolutionnaires s'inscrivent dans l'héritage des Lumières, dont les traités sur l'amitié ne cessent d'insister sur le fait que c'est le sentiment par excellence qui permet d'atteindre le bonheur, car c'est un sentiment pondéré, calme, qui apaise la relation avec les autres, là où l'amour est présenté comme un sentiment plein de fureur, de vertige, qui conduit à se mettre à l'écart du monde."

L’amitié devient ainsi le moyen d’une fraternité universelle, fondée sur la liberté – on choisit librement ses amis – et sur l’égalité – on ne saurait être ami qu’avec un égal.

Le Cours de l'histoire
52 min

Pour en savoir plus

Découvrir L’Amitié en révolution 1789-1799. De l'histoire à la mémoire, sous la direction de Philippe Bourdin et Côme Simien, Presses universitaires de Rennes, 2024.

Philippe Bourdin est professeur d'histoire moderne à l'Université Clermont Auvergne, membre senior de l'Institut universitaire de France. Il est spécialiste de l’histoire politique et culturelle de la Révolution française et de l'Empire.
Il a notamment publié :

  • La Comédie de Clermont-Ferrand (1753-1889) : un siècle de théâtre en province, Presses universitaires Blaise Pascal, 2022
  • Jean-Gabriel Gallot, un médecin des Lumières au chevet de la Révolution, Comité des travaux historiques et scientifiques, 2022

Karine Rance est maîtresse de conférences en histoire contemporaine à l'Université Clermont Auvergne. Elle est spécialiste des migrations politiques et de l'émigration des nobles contre-révolutionnaires à l'époque de la Révolution française et de l'exil des conventionnels.

Elle a coordonné "Émotions révolutionnaires", numéro spécial des Annales historiques de la Révolution française de mars 2024.

Côme Simien est maître de conférences en histoire moderne à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, spécialiste de l’histoire du XVIIIe siècle et de la Révolution.
Il a notamment publié :

  • Le Maître d’école du village au temps des Lumières et de la Révolution, CTHS, 2023
  • Quelle République pour la nation ? (1770-1820), co-dirigé avec Alain Chevalier, Jean d’Andlau, Herv�� Leuwers, Société des études robespierristes, 2023

Références sonores

Archives et extraits de film :

  • Archive présentant Manon Roland, France Culture, 10 août 1982
  • Archive de l'historien Albert Soboul, ORTF, 1973
  • Extrait du film La Révolution française de Robert Enrico, 1989
  • Archive d'une lettre de Robespierre à Danton, France Culture, 13 août 2013

Lectures par Daniel Kenigsberg :

  • Lettre du maître de postes de Riom à Gilbert Romme, futur député à la Convention, 13 janvier 1787
  • Extrait des Fragments d’institutions républicaines de Louis Antoine Léon de Saint-Just, rédigé entre 1793 et 1794, publié à titre posthume en 1800

Chanson : Chanson du franc-maçon hors des loges, anonyme (18e siècle), interprétée par Bernard Cottret

Musique du générique : Gendèr par Makoto San, 2020

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