A Johannesbourg, la bibliothèque de la ville toujours fermée depuis le Covid

Bibliothèque publique de Johannesbourg en 1935, réalisée par l'architecte John Perry.
Bibliothèque publique de Johannesbourg en 1935, réalisée par l'architecte John Perry.
Bibliothèque publique de Johannesbourg en 1935, réalisée par l'architecte John Perry.
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Aujourd’hui, on s'intéresse à l’Afrique du Sud. On va parler de la principale bibliothèque de la ville, dont les portes closes suscitent la colère et l’indignation.

Avec
  • Claire Bargelès Correspondante pour RFI, Radio France et Les Echos à Johannesbourg

Libri thesaurus animi, c’est ce qu’on lit depuis l’esplanade, sur le fronton de la bibliothèque, un bâtiment gris et imposant, de style italianisant. En français, cela veut dire « Les livres sont une chambre aux trésors pour l’âme ». Des trésors inaccessibles depuis un moment, puisque cela fait plus de 3 ans que la bibliothèque publique, la plus historique et emblématique, de Johannesbourg est fermée. Dans un premier temps, les lieux ont été interdits au public à cause de la pandémie de Covid-19, pour éviter les contaminations. Puis, en 2021, c'est pour travaux, en raison de normes de sécurité non respectées, que la municipalité a prolongé la fermeture de manière « indéfinie ».

C'est une situation qui a éveillé l'exaspération de plusieurs organisations sud-africaines, notamment de la fondation pour le patrimoine de Johannesbourg, alors que le bâtiment avait bénéficié de grands travaux de rénovations dans les années 2010, à hauteur de 3,5 millions d’euros, l’obligeant à fermer, déjà à l'époque, sur plusieurs années.

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Pas de démocratie sans bibliothèque

Pour faire entendre leur mécontentement, ces associations ont organisé un rassemblement le mois dernier, devant les portes verrouillées. Ils étaient une petite centaine sous le doux soleil de l’hiver austral, pour faire savoir aux pouvoirs publics que cette fermeture ne passerait pas inaperçue.

Sur les pancartes, on pouvait lire « les bibliothèques ne devraient pas être un luxe », ou encore « rendez la bibliothèque au peuple ». Certains messages réclamaient aussi plus de transparence de la part des autorités, notamment l’organisation OUTA, qui lutte contre la corruption dans le pays et demande que les élus rendent davantage de comptes à leurs électeurs.

Parmi la foule, se trouvait également le philosophe et historien camerounais Achille Mbembe, venu marteler qu’il n’y a pas de démocratie sans bibliothèque, et qu’il est du devoir d’un gouvernement démocratique de protéger un tel endroit, et du devoir des citoyens de le rappeler.

250 000 membres privés d'un accès au 1,5 millions de documents

Cette bibliothèque, qui approche les 90 ans depuis son ouverture, attirait beaucoup de monde lorsqu’elle était encore accessible au grand public. Elle renferme effectivement plus d’1,5 millions de livres, revues et autres documents, ce qui lui permettait de compter, habituellement, quelque 250 000 membres. On trouve aussi, à l’intérieur plusieurs collections spécialisées, notamment tout un ensemble d'œuvres sur l’Afrique australe et de cartes originales, ou encore une section qui rassemble de nombreuses archives autour de l’art. Les chercheurs apprécient également la collection de journaux d’époque, qui n’ont pas encore été numérisés. Beaucoup d’étudiants des quartiers alentours, défavorisés, pouvaient aussi venir y travailler, et profiter d’un accès gratuit à internet et à des ordinateurs.

Outre l'inaccessibilité de ces collections spéciales, cette fermeture est un mauvais symbole, pour un pays où les populations noires ont longtemps été tenues à l’écart de la culture. Par ailleurs, ce bâtiment se situe dans le CBD, le « Center Business District », c'est-à-dire l’ancien poumon économique de la ville, qui était une zone réservée aux Blancs, sous l’apartheid. C’était surtout à destination de ces populations que les bibliothèques publiques étaient destinées, sous le régime ségrégationniste de l’époque. Cette bibliothèque publique du centre ville fut finalement la première du pays à ouvrir ses portes à tous les habitants, qu’importe leur couleur de peau.

Cela fait donc dire à beaucoup de participants de cette manifestation, qu’il est vital que l’Afrique du Sud démocratique assure l’accès aux livres à toutes les populations, comme la Charte de la Liberté l’imaginait déjà en 1955, en proclamant : « les portes de l’apprentissage et de la culture doivent être ouvertes à tous. »

Enfin, beaucoup rappellent aussi que dans une société marquée par les difficultés de lecture de ses écoliers, où il est estimé que plus de 80 % des Sud-Africains de 10 ans ont du mal à comprendre ce qu’ils lisent, cette grande bibliothèque devrait être fermée le moins possible, puisqu’elle renferme aussi une collection pour enfants.

Une situation symptomatique de la gestion de la municipalité

La ville de Johannesbourg explique ne pas pouvoir faire autrement, devant remettre le bâtiment aux normes, notamment en ce qui concerne la sécurité incendie et de possibles fuites au niveau du toit. Mais pour les citoyens en colère, la situation est symptomatique de la façon dont est gérée la municipalité.

Il y a déjà, d’une part, une frustration due au manque de communication des pouvoirs locaux, puisqu’avant ces mobilisations, très peu avait filtré sur les problèmes autour de la structure du bâtiment, et les raisons exactes de sa fermeture.

De plus, d’autres édifices publics de cette même zone connaissent aussi des problèmes, ces dernières années, alors que le centre-ville est désormais délaissé au profit d’autres banlieues en périphérie. On peut penser, par exemple, au grand musée d’art de la ville, situé non loin de là, et dont le bâtiment est aussi en triste état.

Le groupe d’associations qui a organisé la manifestation s’appelle d’ailleurs la « Joburg Crisis Alliance », soit l’Alliance pour répondre à la crise de Johannesbourg. Parmi les raisons qui peuvent expliquer l’état du centre-ville, se trouve la composition du conseil municipal, où aucun parti n’a la majorité absolue. Des coalitions se forment et s’effondrent au gré des alliances, et la municipalité a ainsi connu 7 changements de maires en 3 ans ! A noter qu’après de nombreuses tractations politiques, le maire actuel est finalement issu d’un parti qui détient seulement 1 % des sièges. Difficile avec cela de mener des politiques publiques abouties. Sans compter l’ombre d’affaires de corruption qui plane au-dessus de la municipalité.

Juste après la manifestation du mois dernier, la ville de Johannesbourg a finalement répondu, par voie de communiqué de presse. Le conseil municipal a annoncé avoir alloué 25 millions de rands sur le budget de l’année, soit un peu plus d’un million d’euros, pour rénover le bâtiment. Néanmoins, une ouverture, même partielle, n’est pas prévue avant au moins 2025. C'est une réponse très loin de satisfaire les amoureux des livres de la ville.

L'��quipe