"La grève", de Muriel Szac : un récit de révolte contre les injustices sociales très inspirant

"La Grève" d'une adolescente ©Getty - FilippoBacci
"La Grève" d'une adolescente ©Getty - FilippoBacci
"La Grève" d'une adolescente ©Getty - FilippoBacci
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Un roman aussi court que percutant, sur des ouvriers qui occupent leur usine pour lutter contre un plan social. Dans ce livre, le travail à l'usine est vu à travers le regard d'une enfant de 13 ans qui voit sa mère se tuer à la tâche.

Ce texte qui n’est pas tout à fait une nouveauté puisque sa première publication date de 2008 aux éditions du Seuil, mais il n’était malheureusement plus édité aujourd’hui. Les éditions du Calicot ont décidé de remédier à ça en republiant ce récit engagé à l’image de leur ligne éditoriale.

L’autrice nous emmène dans une petite ville ouvrière du nord de la France où vit Mélodie, 13 ans, avec ses trois petits frères et sœurs et leur mère

Son père est parti de la maison quelques années plus tôt et depuis, sa mère peine à joindre les deux bouts. La vie est rude pour les habitants de son quartier, fortement touché par la pauvreté et le chômage depuis la fermeture de la fonderie où travaillaient la plupart des hommes. Heureusement, l’autre usine de la ville est toujours en fonctionnement, une fabrique de textile dans laquelle travaillent la plupart des femmes…
"L'usine, on ne voit qu'elle dans la ville. Mais on ne la regarde jamais. Elle engloutit ma mère le matin et la recrache le soir, comme presque toutes les femmes d'ici. Rivée à sa machine, elle pique des ourlets toute la journée, toute la semaine, toute l'année."

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Le quotidien de Mélodie est assez morose, les rapports avec sa mère sont tendus, ses notes au collège plutôt mauvaises… et dans ces conditions de vie difficiles, compliqué pour elle de rêver d’un avenir radieux.
Sa vie va basculer le jour où sa mère et ses collègues mettent la main sur des papiers confidentiels appartenant à leur terrible patron. Elles découvrent avec stupeur et colère son projet de fermer l’usine, qu’il prévoit de délocaliser en Slovaquie. Cette révélation va enflammer les ouvrières et marquer un tournant dans leur vie et celle des habitants du quartier.
"Doris nous a demandé des efforts, et on a fait des efforts. Il nous a parlé de flexibilité, nous faisons des heures sup et nous venons le samedi. Il nous a parlé de productivité et nous avons dû accélérer les cadences. Il nous a parlé rigueur budgétaire. Il a éjecté les plus âgées. Il est sur notre dos du matin au soir. Et nous avons accepté. Tout encaissé sans broncher ! […] Il ne nous reste qu'une seule solution, on doit occuper l'usine ! Là, maintenant, tout de suite. Nous devons voter la grève !
Même si j'étais loin de me douter à quel point cette nuit et les suivantes allaient changer ma vie, j'ai immédiatement perçu qu'il se passait quelque chose de fort, d'exceptionnel. En frissonnant, je me suis laissé emporter par le tourbillon."

Grand bien vous fasse !
51 min

Ce tourbillon, c’est plusieurs semaines d’occupation de l’usine par les travailleuses, aidées par la population venue en soutien

C’est aussi la rencontre avec Julie, une jeune journaliste indépendante qui a des comptes à régler avec leur patron ; mais c’est surtout beaucoup de solidarité et de courage pour s’opposer aux puissants et à cet homme qui leur a fait vivre un enfer.
"Jamais on ne m'a résisté de la sorte ! Vous le paierez très cher, bande de fainéantes !"

Je peux vous dire que ça fait du bien de lire un texte comme celui-ci, un récit de révolte contre les injustices sociales très inspirant. Muriel Szac propose une vision très réaliste de la complexité de la grève, du rapport de force entre les syndicats et le patronat mais aussi des conflits en interne qui peuvent apparaître au fil des jours entre les grévistes, qui ne sont pas toujours d’accord sur le mode d’action à adopter.
On observe tout ça à travers le regard de Mélodie, un regard jeune et un peu naïf qui va beaucoup évoluer au fil du texte. Du haut de ses 13 ans elle est déjà une trop jeune victime des inégalités sociales qui frappent son quartier, mais elle va trouver dans cette expérience un nouveau souffle qui va transformer son désintérêt et sa résignation en une nouvelle détermination. Et c’est aussi l’effet que peut faire cette lecture parce que le roman est très court mais très percutant !
Je vous laisse sur les mots de l’autrice qui nous explique à la fin du livre les raisons qui l’ont conduite à l’écriture de ce texte…

"Mon grand-père était cheminot, il réparait les trains dans un atelier SNCF en banlieue de Lyon. Mais ni lui ni ses enfants ne partaient en vacances. Trop cher. Ma grand-mère s'usait les yeux à retoucher au pinceau des photos dans une pièce noire pour rendre les bourgeois plus beaux. Mais ni elle ni ses enfants n'étaient photographiés. Trop cher. Mon arrière-grand-père, canut à la Croix-Rousse, fabriquait des rubans pour les riches. Mais ni lui ni ses enfants n'ont jamais porté de soie. Trop cher. Tous ouvriers, exploités."

  • La grève, de Murielle Szac, réédité par la maison Calicot !

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