Trente ans après l’avènement de la démocratie sud-africaine, quel bilan pour l’école ?

Ecole publique et gratuite dans le township d'Illinge, Eastern Cape. Le 13 mars 2024 ©Radio France - Romain Chanson
Ecole publique et gratuite dans le township d'Illinge, Eastern Cape. Le 13 mars 2024 ©Radio France - Romain Chanson
Ecole publique et gratuite dans le township d'Illinge, Eastern Cape. Le 13 mars 2024 ©Radio France - Romain Chanson
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En Afrique du Sud, on commémore les trente ans des premières élections multiraciales. Le 27 avril 1994, tous les Sud-Africains étaient appelés aux urnes. La grande majorité des électeurs allait voter pour le Congrès national africain (ANC) qui élirait ensuite Nelson Mandela.

Avec
  • Jeanne Bouyat Chercheuse en science politique, rattachée au Centre for Education Rights and Transformation de l'Université de Johannesburg; et au CERI de Sciences Po Paris

Le Grand Reportage nous emmène en Afrique du Sud, où l'on commémore samedi 27 avril les trente ans des premières élections multiraciales. Le 27 avril 1994, tous les Sud-Africains étaient appelés aux urnes. La grande majorité des électeurs allait voter pour le Congrès national africain (ANC) qui élirait ensuite Nelson Mandela, premier président noir d'Afrique du Sud. Cet homme cultivé, ancien avocat, a fait de l'accès à l'éducation une priorité après un demi-siècle d'apartheid où les populations non-blanches ont reçu une éducation volontairement dégradée. Au pouvoir depuis trente ans, l'ANC a réussi à généraliser l'accès à l'éducation, au détriment parfois de la qualité. Classes surchargées, écoles en mauvais état, crise de l'illettrisme, les défis sont encore nombreux. En témoigne notamment ce Grand Reportage de Romain Chanson.

Premier président noir élu suite aux élections multiraciales du 27 avril 1994, Nelson Mandela fera de l’éducation l’une de ses priorités pour corriger les dommages causés par le régime ségregationniste d’apartheid depuis 1948. Malgré des progrès conséquents, le système éducatif est encore à la traîne.

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Éducation et émancipation : le bilan de l'ANC en Afrique du Sud

“Les Sud-Africains sont plus éduqués, plus émancipés et sont en meilleure santé que sous l’apartheid” déclarait le président sud-africain Cyril Ramaphosa lors de la présentation du programme de son parti, le Congrès national africain (ANC), le 24 février 2024 à Durban. Les électeurs sont appelés aux urnes le 29 mai 2024 pour des élections générales et ce scrutin coïncide à un mois près, avec les commémorations du trentenaire des premières élections libres dans le pays, le 27 avril 1994.

L’ANC, l’ancien parti de Nelson Mandela, met donc en avant son bilan pour espérer remporter les élections générales. “Des écoles maternelles aux écoles, des collèges aux universités, le nombre de personnes scolarisées dans nos institutions non ségréguées et gratuites pour la grande majorité des élèves, a augmenté de manière massive” se félicitait le président Ramaphosa lors de son discours à Durban. En 2022, parmi les personnes âgées de 20 ans et plus, seulement 6,9% n’avaient reçu aucune éducation formelle contre 19,1% en 1996, selon le recensement de 2022.

L’Afrique du Sud revient de loin. Le régime d’apartheid a imposé une éducation séparée des blancs, éloignée des centres-villes et à la qualité dégradée. “L'objectif du système éducatif d'apartheid, connu sous le nom de l'éducation Bantou (Bantu Education Act, 1953) était de limiter l'accès aux études supérieures pour les Noirs. Le régime d'apartheid assurait l'éducation basique mais ensuite il y avait peu d'opportunités pour aller au lycée et à l'université” explique le professeur Brahm Fleisch, de l’université de Wits à Johannesburg.

Étendre l'accès à l'éducation à tous

Le gouvernement de Nelson Mandela, et les suivants ont entrepris de construire des écoles pour permettre au plus grand nombre d’être scolarisé dans des écoles gratuites où un repas serait servi. Ils ont misé sur la quantité, à savoir rendre l’école universelle. Mais aujourd’hui c’est la qualité de l’éducation qui fait défaut.  81% des élèves en CM1, ne comprennent pas ce qu’ils lisent selon la dernière enquête du Programme international de recherche en lecture scolaire (PIRLS). La presse met en garde contre  “la bombe à retardement de l’illétrisme.” Le journaliste sud-africain  Adriaan Basson voit dans le système éducatif sud-africain “le pire échec de l’ANC” en trente ans de règne.

Nombulelo Vali, professeur d'anglais et ses élèves reçoivent des livres. Le 13 mars 2024
Nombulelo Vali, professeur d'anglais et ses élèves reçoivent des livres. Le 13 mars 2024
© Radio France - Romain Chanson

Dans une école de township d’Illinge, près de Queenstown, dans la province du Cap Oriental, la professeur d’anglais estime que près de la moitié de ses élèves en CM1 ont des difficultés à lire. "Ils connaissent les mots, mais ils n'arrivent pas à expliquer l'histoire. On leur demande d'illustrer ce qu'ils ont lu, mais pour eux c'est assez compliqué” témoigne Nombulelo Vali. C’est au CM1 que les élèves abandonnent l’apprentissage en langue locale pour l’anglais, l’une des onze langues officielles d’Afrique du Sud. Ce changement peut perturber les élèves.

Mais les conditions d'apprentissage sont aussi défaillantes. Les classes sont surchargées, comme celle de Nombulelo Vali qui doit enseigner à 48 élèves en même temps. Les mauvaises conditions d’apprentissage, ont été dénoncées par Amnesty International. “Le système éducatif reste marqué par de graves inégalités et des résultats insuffisants profondément ancrés dans l’héritage de l’apartheid, mais également liés au fait que le gouvernement n’a pas pris de mesures pour y remédier” soulignait l’ONG  dans un rapport en 2020. Cet environnement dégradé est aussi l’un des facteurs du décrochage scolaire qui s’élève à près de 40% selon l’ONG  Zero Dropout.

Le projet Yizani Sifunde pour éveiller les jeunes enfants

Livraison de livres pour enfants par le programme Yizani Sifunde qui regroupe trois associations. Le 13 mars 2024
Livraison de livres pour enfants par le programme Yizani Sifunde qui regroupe trois associations. Le 13 mars 2024
© Radio France - Romain Chanson

L’école d’Illinge est trop petite et elle ne possède pas de bibliothèque. L’accès aux livres et la stimulation des enfants autour de la lecture sont des défis que l’Afrique du Sud doit relever. Plusieurs associations ont uni leurs forces à Queenstown pour venir en aide aux crèches. Elles publient et offrent des livres, elles forment les éducateurs à l’apprentissage de la lecture, elles composent un réseau de conteurs. Le projet s’appelle  Yizani Sifunde (mettons-nous à lire en langue xhosa) et il vient de s’achever après trois ans de mise en pratique. Une évaluation indépendante du programme révèle qu'en seulement 8 mois, la part de ces jeunes enfants considérés comme très en retard dans l'apprentissage de la lecture et du langage, a baissé de moitié parmi les bénéficiaires.

Le gouvernement affirme avoir compris où sont les besoins. “Ces études [PIRLS, sur les capacités de lecture] soulignent ce qu'on doit améliorer comme la stimulation des très jeunes enfants, la mise à disposition de ressources pour que les enfants puissent lire beaucoup de livres. On ne se soumet pas à ces enquêtes en pensant pouvoir faire jeu égal avec la Russie ou la Finlande” se défend Angelina Motshekga, la ministre de l’Education primaire*.* Elle dit aussi devoir faire avec un budget restreint. L’ONG Equal Education  dénonce un budget d’austérité “qui contrevient aux obligations du gouvernement en matière des droits de l’homme.”

Trente ans après l’avènement de la démocratie, le gouvernement est pointé du doigt pour ne pas investir suffisamment dans l’éducation. Les progrès, depuis l’accession au pouvoir de Nelson Mandela sont pourtant reconnus par tous, mais la qualité de l’éducation reste encore à désirer dans les écoles publiques. En campagne électorale, le président Ramaphosa promet d’augmenter l’enseignement des mathématiques, des sciences et du code informatique. Une ambition de modernité pour un système éducatif qui ressemble encore beaucoup trop au passé.

58 min

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