Françoise Malby-Anthony : "Si on ne fait pas quelque chose maintenant, les futures générations ne verront des animaux que dans les zoos"

Françoise Malby-Anthony, cofondatrice de la réserve animalière, Thula Thula, en Afrique du Sud. - RADIO FRANCE
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Françoise Malby-Anthony, cofondatrice de la réserve animalière, Thula Thula, en Afrique du Sud. - RADIO FRANCE
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Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Vendredi 17 mai 2024 : la cofondatrice de la réserve animalière sud-africaine Thula Thula, Françoise Malby-Anthony. Elle publie aux éditions Albin Michel : "La Sagesse des éléphants".

En 1987, alors qu'elle était en voyage à Londres, Françoise Malby-Anthony, en attente d'un taxi, rencontre Lawrence Anthony. Cet idéaliste et visionnaire devient son mari et avec lui, elle s'expatrie et créé en 1999 la réserve animalière de Thula Thula en Afrique du Sud. À la disparition de Lawrence en 2012, elle refuse d'abandonner. Elle reprend la gestion de la réserve et elle crée un centre de réhabilitation de la faune pour s'occuper des animaux orphelins comme les éléphants, rhinocéros, guépards, suricates, etc. Elle publie La Sagesse des éléphants aux éditions Albin Michel.

franceinfo : Votre livre est une immersion dans votre quotidien auprès de ces espèces sauvages que vous protégez parfois au péril de votre vie parce que les braconniers sont sans pitié. J'ai l'impression que ces animaux sont devenus, finalement, les membres de votre famille de cœur.

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Françoise Malby-Anthony : Tout à fait. C'est ma famille. Les éléphants, les rhinocéros sont des animaux qui sont énormes, entre deux tonnes et quatre tonnes et demie pour les rhinocéros et les éléphants, mais ce sont des animaux qui sont d'une fragilité extraordinaire. Les éléphants, les rhinocéros sont vulnérables à cause des braconniers, à cause des humains en général.

Votre première rencontre avec l'un de ces animaux, ce sera une souris. Malheureusement, elle était suivie par un énorme serpent qui l'a gobée très vite. Vous êtes plutôt une fille de la ville et vous le revendiquez. Comment vous sentez-vous dans cet espace qui pourrait en effrayer beaucoup plus qu'on ne l'imagine ?

Au début, bien sûr, ça a été un choc culturel. Je n'avais jamais vu un serpent de ma vie et quand j'ai vu ce serpent, je connaissais un mot en zoulou, c'était "boulala", ça signifie "tuer", j'ai appelé le gardien en lui disant, il faut le tuer ! C'était il y a 25 ans.

"Chaque créature a sa place et chaque créature doit survivre. Il ne faut pas tuer les animaux. Pour l'écosystème, chaque animal a sa place et nous devons tous apprendre à vivre avec eux."

Au moment de la disparition de Lawrence, les animaux sont venus jusqu'à la maison et ils sont venus chaque année pendant trois ans. Parlez-nous du lien extraordinaire qui existe entre les humains et les animaux.

Ça a été un moment extraordinaire. C'est arrivé précisément deux jours après le décès de Lawrence. Il est décédé à Johannesburg. Et ils sont arrivés à 5h de l'après-midi, le 4 mars, en procession. Ils se sont plantés devant la maison en attendant quelque chose. Le décès de Lawrence a été une surprise énorme pour tout le monde. C'était complètement inattendu. C'était vraiment un coup de massue et les éléphants ont très certainement ressenti cette atmosphère de pleurs et de désarroi.

Ils sont arrivés et se sont plantés là plusieurs heures et l'année d'après ils sont revenus le même jour, à la même heure et l'année d'après également. Il n'y a pas d'explication scientifique, mais c'est quand même extraordinaire. Les éléphants pleurent leurs morts, c'est connu, et ce qu'ils ont fait pour Lawrence, je pense que c'était ça. Par la suite, ils sont revenus me voir pour me dire que je n'étais pas seule. Alors, ces éléphants, c'est comme ma famille, ils viennent nous rendre visite, ils viennent exprimer quelque chose.

Vous racontez qu'au moment de sa disparition, beaucoup ont imaginé que vous alliez passer à autre chose. Vous avez décidé au contraire de faire perdurer ses idées, d'aller encore plus loin dans ce qu'il avait imaginé aussi.

C'était ma décision, absolument. Je n'ai jamais eu l'intention de partir, mais comme j'étais une femme et une étrangère, personne n'a cru en moi. Il faut dire, que je n'étais pas du tout préparée à prendre la suite de Lawrence. Deux semaines après son décès, un de mes bébés rhinocéros que nous avions recueilli a quatre mois, s'est fait attaquer par des braconniers. Ça a été une accumulation de tragédies qui m'a fait comprendre que toute la responsabilité de la lutte contre le braconnage, l'avenir de nos éléphants, l'avenir de la réserve étaient sur mes épaules et j'ai pris la responsabilité. Je ne pouvais pas non plus imaginer laisser tomber les 50 employés.

"Deux ans après la disparition de Lawrence, j'ai quand même réussi à réaliser son rêve, agrandir la réserve, protéger nos éléphants et également à en doubler le nombre."

Quelque 18000, c'est le nombre de rhinocéros encore en vie sur toute la planète, soit une baisse de 10% en dix ans. En Afrique du Sud, l'espèce a chuté de plus de deux tiers. En ce qui concerne les éléphants de savane d'Afrique, l'Union internationale pour la conservation de la nature les a classés sur sa liste rouge comme espèce en danger et l'éléphant de forêt d'Afrique en danger d'extinction. Comment justifie-t-on cette extinction silencieuse ?

Beaucoup de gens ne sont pas au courant du nombre d'espèces en voie de disparition. Il y a également le guépard, il n'en reste que 7 000 et c'est un nombre qui devient dangereux à cause de la consanguinité. Et la liste est tellement longue, on peut la voir dans mon livre qui est également destiné à sensibiliser, à apporter plus de prise de conscience des problèmes de l'avenir de la faune sauvage en Afrique. Si on ne fait pas quelque chose maintenant, les futures générations ne verront des animaux que dans les zoos, peut-être.

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