Charles et Abdelkader Tamazount : le droit des harkis

Abdelkader Tamazount et Charles Tamazount devant la Maison de la Radio et de la Musique à Paris le 20 mai 2024 ©Radio France - Anne Fauquembergue
Abdelkader Tamazount et Charles Tamazount devant la Maison de la Radio et de la Musique à Paris le 20 mai 2024 ©Radio France - Anne Fauquembergue
Abdelkader Tamazount et Charles Tamazount devant la Maison de la Radio et de la Musique à Paris le 20 mai 2024 ©Radio France - Anne Fauquembergue
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Fils de harkis, les frères Charles et Abdelkader Tamazount ont fait condamner la France par la Cour européenne des droits de l'homme pour les conditions de vie indignes dans les camps qui les ont accueillis après l'indépendance de l'Algérie. L'épilogue d'un combat judiciaire de quatorze ans.

Le 4 avril 2024, La Cour européenne des droits de l'homme a condamné la France pour les conditions d'accueil des harkis dans les camps où ils ont été reçus à leur arrivée d'Algérie, après les accords d'Evian. La CEDH a déclaré que ces conditions de vie n'étaient "pas compatibles avec le respect de la dignité humaine". Les requérants étaient des enfants de harkis notamment de la famille Tamazount. Cette famille a vécu au camp de Rivesaltes en Occitanie puis au camp de Bias en Nouvelle Aquitaine. Retour sur le combat judiciaire de Charles et Abdelkader Tamazount à l'origine de cette décision.

Une famille engagée pour la France depuis la première guerre mondiale

Dans la famille Tamazount, côté paternel, le grand-père a connu les tranchées de 14-18. Il est mort après avoir été grièvement blessé. L'oncle a servi la France en 1926 dans la guerre du Rif au nord du Maroc et a participé à la seconde guerre mondiale (avant d'être assassiné par le FLN dans le contexte de la guerre d'Algérie). Tout naturellement donc, le père prénommé Djelloul s'est engagé en tant que harki dans les troupes supplétives pour aider Paris dans le conflit algérien.
Après l'indépendance, il risque sa vie et doit fuir avec sa famille. Mais en France, rien n'est vraiment prévu pour accueillir les dizaines de milliers de harkis menacés en Algérie. Les Tamazount sont d'abord affectés au camp de Rivesaltes en Occitanie puis à Bias en Nouvelle-Aquitaine. Mais dans ces camps militaires, les harkis survivent, abandonnés à leur propre sort et ne reçoivent aucune aide de l'Etat français.

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La famille Tamazount en 1963 au camp de Rivesaltes.  A droite, Djelloul, le papa. A gauche, Yamina, la maman. Devant, Mohamed et Zorhat
La famille Tamazount en 1963 au camp de Rivesaltes. A droite, Djelloul, le papa. A gauche, Yamina, la maman. Devant, Mohamed et Zorhat
© Radio France - Charles Tamazount

"Jusqu'en 1962, toute la famille Tamazount a servi la France" insiste Abdelkader Tamazount. "Mon père aimait la France, il l'a peut-être trop aimé".

Après les accords d'Evian, la famille dont la tradition militaire est bien identifiée est menacée explique Charles Tamazount.

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Une petite enfance dans un milieu quasi carcéral

En France, rien n'est vraiment prévu pour accueillir les dizaines de milliers de harkis débarqués d'Algérie. 
Les Tamazount sont d'abord affectés à Rivesaltes en Occitanie puis à Bias en Nouvelle-Aquitaine, deux camps militaires très sévères. Abdelkhader, 61 ans est naît à Risevaltes en 1963. Charles a vu le jour à Bias en 1974. Tous les deux restent marqués par leur petite enfance dans ces camps où ils se sont sentis abandonnés par les autorités françaises. Abdelkader Tamazount en garde un souvenir amer :

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"On vivait tellement entre nous que j'avais l'impression d'être en Algérie. Je ne savais pas que nous étions en France, c'est ce que je retiens de mes premières années"

Charles Tamazount décrit également la violence du camp de Bias avec des comportements de personnes enfermées depuis des années : "J'ai vu deux harkis se battre et l'un a été tué par l'autre. J'avais trois ans et demi. L'homme baignait dans sa mare de sang. Je me suis dit toute ma vie que la France m'avait fait subir ça"

Baraquement du camp de Bias en 1975, année de la révolte des harkis. Un matelas est amené à l'otage Djelloul Belfadel, le responsable de l'amicale des algériens
Baraquement du camp de Bias en 1975, année de la révolte des harkis. Un matelas est amené à l'otage Djelloul Belfadel, le responsable de l'amicale des algériens
© AFP - AFP

En 1975, l'étau se desserre mais les harkis du camp de Bias doivent prendre les armes pour  obtenir des droits. Une prise d'otages est organisée. L'administration du camp passe alors au civil et les familles sont incitées à partir. "La guerre d'Algérie s'est terminée pour nous en 1975" commente Abdelkader Tamazount

Charles Tamazount a la possibilité de suivre des études et doit son brillant parcours à une professeure de collège explique-t-il :

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"Cette professeure m'a dit que j'irai étudier dans le plus beau lycée du département. Elle m'a obtenu une dérogation et je suis allée au lycée Bernard Palissy à Agen qui était l'un des rares lycées en France à accueillir des enfants des français de l'étranger. J'étais interne et j'ai connu la grande vie, la radio, le journal Le Monde et ça a été la fusion intellectuelle jusqu'à l'école doctorale".

Un combat judiciaire de plus de dix ans jusqu'à la Cour européenne des droits de l'homme

Dès la fin de ses études universitaires en 2000, Charles Tamazount entame des actions en justice en créant notamment le comité harkis et vérité. Jusqu'en 2011, il multiplie les procédures.

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Charles Tamazount obtient deux grandes victoires devant le Conseil constitutionnel. En 2010, les sages permettent l'extension du statut d'ancien combattant français aux harkis restés en Algérie. En 2011, ils censurent six lois pour permettre aux harkis et enfants de harkis de bénéficier de droits qui étaient jusque là limités à une très faible proportion de la communauté. "Après cette victoire, mon frère Abdelkader m'a sollicité et m'a demandé si je ne pouvais pas me mettre au service d'une procédure face à l'Etat français" raconte Charles Tamazount. Le dossier d'Abdelkader est solide mais les deux frères doivent attendre le Conseil d'Etat en 2018 pour obtenir une décision historique. La plus haute juridiction administrative reconnaît la responsabilité de l'Etat pour les conditions de vie réservés aux harkis à leur arrivée en France. Elle reste toutefois timorée sur le plan des réparations ce qui amène les deux frères à saisir la Cour européenne des droits de l'homme.

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"En regardant tous les mémoires que Charles a écrit, j'ai appris beaucoup. Je n'avais plus d'espoir mais aujourd'hui ce que j'ai subi est devenu une réalité".

Le 4 avril 2024, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France pour les conditions de vie   « pas compatibles avec le respect de la dignité humaine » imposées aux harkis dans les camps d’accueil, où ils ont passé de nombreuses années après leur retour d’Algérie dans les années 1960 et 1970.

La Cour européenne des droits de l'homme à Strasbourg le 8 mai 1945
La Cour européenne des droits de l'homme à Strasbourg le 8 mai 1945
© AFP - Sébastien Bozon

La Cour européenne estime aussi que "Les montants accordés par les juridictions internes en l’espèce ne constituent pas une réparation adéquate et suffisante pour redresser les violations constatées" bien que "consciente de la difficulté de chiffrer les préjudices subis par les requérants".
S’agissant des traitements inhumains et dégradants, elle ajoute que "les sommes allouées aux requérants sont modiques par comparaison avec ce que la Cour octroie généralement dans les affaires relatives à des conditions de détention indignes» qui en déduit que ces sommes «n’ont pas couvert les préjudices liés aux autres violations de la Convention".

Selon la CEDH, constituerait juste réparation l’octroi de 4 000 euros par année passée au sein du camp de Bias.

Patricia Miralhès, l'ex secrétaire d'Etat aux anciens combattants a annoncé début mai une  remise à plat des indemnisations pour les personnes ayant séjourné à Bias entre 1962 et 1975.

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