L'Afrique du Sud cherche un Cap : épisode • 1/3 du podcast Afrique australe : des économies à risques

Personnes sans-abri rangeant leurs affaires lors d’un démantèlement de leur camp dans la ville du Cap, le 22 février 2024 en Afrique du Sud. ©AFP - GIANLUIGI GUERCIA
Personnes sans-abri rangeant leurs affaires lors d’un démantèlement de leur camp dans la ville du Cap, le 22 février 2024 en Afrique du Sud. ©AFP - GIANLUIGI GUERCIA
Personnes sans-abri rangeant leurs affaires lors d’un démantèlement de leur camp dans la ville du Cap, le 22 février 2024 en Afrique du Sud. ©AFP - GIANLUIGI GUERCIA
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Trente ans après l'arrivée au pouvoir du Congrès national africain, pourquoi les politiques économiques et sociales échouent-elles à enrayer l'explosion des inégalités ?

Avec
  • Cécile Perrot Maîtresse de conférences à l'Université de Rennes 2, spécialiste des politiques sociales sud africaines
  • Nicolas Pons-Vignon Economiste, professeur en transformations du travail et innovation sociale à la Haute Ecole Spécialisée de la Suisse Italienne

Cyril Ramaphosa a accédé à la présidence de l’ANC (African national congress) fin 2017, avant de devenir président de la République en février 2018. Son arrivée au pouvoir a entraîné une amélioration de la gouvernance, après une présidence Zuma marquée par une corruption endémique. Cet élan s’est toutefois heurté à quelques écueils : accusations de blanchiment de capitaux, accusations de corruption formulées par l’ancien PDG d’Eskom… Cyril Ramaphosa n’en a pas moins été désigné fin 2022 comme candidat pour les élections de 2024, sur fond de dissensions entre ailes pro-business et populiste de l’ANC. L’ANC pourrait y perdre la majorité absolue pour la première fois depuis 1994, dans le sillage des élections municipales de 2021.

L’Afrique du Sud est la première économie d’Afrique australe (plus de 60 % de son PIB) et la seconde en Afrique sub-saharienne (406 Mds USD en 2022, contre 419 Mds USD en 2021) derrière le Nigéria (477 Mds USD). En 2022, le pays affichait un PIB par habitant de 6 694 USD, dans le top 10 des pays d’Afrique sub-saharienne, loin devant les autres grandes économies de la région. L’Afrique du Sud est le seul pays africain membre des BRICS et du G20.

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L’Afrique du Sud est dotée d’une économie moderne, relativement diversifiée et qui dispose de nombreux atouts : des ressources naturelles abondantes ; une agriculture commerciale performante (3 % du PIB en moyenne entre 2020 et 2022) ; une industrie manufacturière puissante, compétitive et intégrée dans les chaînes de valeur mondiales (12 % du PIB – automobile notamment) ; un secteur des services avancé (dont un secteur financier solide et sophistiqué – 24 % du PIB) ; des infrastructures de qualité et des institutions judiciaires fortes et indépendantes. L’économie reste relativement dépendante de l’industrie minière, même si ce secteur tend à diminuer (5 % du PIB : or, platine, diamant, ferrochrome, charbon, etc.).

Malgré tous ces avantages, on observe une tendance au décrochage de l’économie. Entre 2010 et 2019, le taux de croissance annuel moyen du pays a atteint 1,7 %, contre plus du double lors de la décennie précédente. Depuis 2016, le différentiel de croissance vis-à-vis de l’Afrique sub-saharienne et des autres économies émergentes s’accroît. Nicolas Pons-Vignon nous explique "il y a en effet de nombreuses pertes dans le circuit économique, qui s’incarne dans presque toutes les politiques publiques menées par le gouvernement sud-africain. Énormément d’argent public est dépensé dans tous les secteurs : éducation, santé, services publics… sans que cela fonctionne. Cela s’incarne particulièrement dans la crise de l’électricité : dans les années 2000-2010, le gouvernement s’est rendu compte que le système des centrales à charbon n’était plus viable. Il a donc choisi de mettre en place un programme d’investissement classique dans les centrales électriques, en articulant ce programme avec l’idée du Black Economic Empowerment, de manière à donner la propriété des entreprises à des populations noires. Finalement, beaucoup de contrats ont été accordés à de grandes entreprises internationales (comme le japonais Itachi), et on voit aujourd’hui que les livraisons ont entre 2 et 10 ans de retard. Il y a ainsi eu beaucoup d’investissement, mais on n'en voit toujours pas les effets, ce qui explique entre autres les ruptures d’électricité à répétition". Cécile Perrot ajoute "en fonction des populations concernées, on voit que certains mettent en place des palliatifs pour faire face à la situation économique dégradée. Certains sud-africains (particuliers ou entreprises) achètent des générateurs, mettent en place des bonbonnes d’eau, ou alors se rendent en clinique privée pour éviter les hôpitaux publics surpeuplés. On peut ainsi s’extraire partiellement de la dégradation quand on en a les moyens ; mais ceux qui se situent à l’autre extrémité de la distribution des revenus subissent de plein fouet les dégradations du service public. Ainsi, le délitement de ces derniers participe activement au renforcement des inégalités préexistantes entre les populations".

10 min

Pour aller plus loin

  • Nicolas Pons-Vignon "Anatomie de l’échec de l’État développeur en Afrique du Sud", revue Actuel Marx, 2022
  • Cécile Perrot "Enseignement supérieur sud-africain : le revirement politique des années 2000", revue MIMMOC (Mémoire(s), identité(s), marginalité(s) dans le monde occidental contemporain), 2023
Cultures Monde
58 min

Références sonores

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