La refugiée soudanaise qui partage sa chambre avec une vingtaine de personnes à N'Djaména

Amira, une réfugiée tchadienne à N'Djamena
  • Author, Armand Mouko Boudombo
  • Role, Journaliste- BBC Afrique
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  • Reporting from N'Djamena

À 48 ans, Amira vit dans la capitale tchadienne depuis 7 ans. Au fil des années, elle a accueilli sous son toit, d’autres familles ressortissantes de leur pays, le Soudan, en proie à des guerres successives.

"Salam Malekum, Je suis Amira, réfugiée soudanaise, bienvenue chez moi", lance tout sourire, cette dame, sortant de sa maisonnette, située en bordure d’une ruelle poussiéreuse de Gassi, dans le 7e arrondissement de N’Djamena.

Vétue d'une djellaba noire, la dame se tient au milieu de quatre autres adultes et appelle des enfants restés de l’autre côté, visiblement éblouis par les objectifs de notre caméra, venue raconter leur réalité.

"Venez, mes enfants, venez", lance- t-elle dans un arabe soudanais resté impeccable, malgré les années de séjour dans son pays d’accueil.

Immédiatement, une demi-douzaine d’enfants se rassemblent autour d’elle, le regard un peu médusé. Amira entame alors une présentation de ses colocataires, dans cette maison de fortune, qui lui a été offerte par des âmes de bonne volonté.

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"Moi c’est Amira Mahaman Adam Mahmoud, réfugiée soudanaise depuis 7 ans ici au Tchad, ça c’est Neyma Yoursif, elle est au Tchad depuis 2004, lui c’est Abdallah, un autre réfugié soudanais, elle s’est Isra, ma fille".

Amira fait office de cheffe de cette famille. Amira a cinq enfants. En dehors de sa fille, les trois autres adultes qu’elle nous présente ont chacun 5 et 7 enfants.

Avec sa nouvelle famille, elle partage ce local aux briquettes de terres cuites. "Venez voir la réalité que nous vivons", nous dit-elle, nous conviant à une petite visite guidée à l’intérieur.

C’est en réalité une chambre, d’environ 6 à 9 mètres carrés, dont un rideau bleu-ciel fleuri, barre la vue de la porte laissée entrouverte.

Au sol, une natte bleue sert de décor, et certainement de tapis, sur lequel est posé un matelas. De l’autre côté, un lit couvert d’un drap blanc aux motifs noirs, dont un trois briquettes de terre aident à équilibrer l’un des pieds.

Les murs partiellement recouverts d’un large rideau bordeaux, sur lequel sont adossés quelques valisettes et une vieille chaise. C’est le cadre de vie de cette famille d'une vingtaine de réfugiés soudanais constituée par la force des choses à N’Djamena.

Notre hôte ressort du local, et se retrouve sur la petite cour, dont quelques vieilles tôles de Zinc servent de barrière, et au coin de laquelle mijotent deux marmites, posées sur deux petits foyers de fortune, alimentés par du feu de bois.

Du riz et du gombo au menu. "C’est comme ça que nous nous débrouillons", renseigne la dame, retournant avec sa louche, la sauce à la couleur noirâtre.

"Il est difficile pour nous d’avoir trois repas par jour. Impossible pour nous de prendre un petit-déjeuner, manger à midi, puis le soir. Nous faisons un repas comme ça, une petite sauce sans viande à l’intérieur, juste pour dormir avec quelque chose dans le ventre", nous explique Amira.

Son ménage accueille désormais tout ce beau monde, en raison du dernier conflit en cours au Soudan, dont le Tchad reçoit désormais plus de 500 mille personnes qui ont traversé la frontière.

Notre hôte pointe du doigt l’une de ses colocataires, dont la grossesse presqu’à terme se cache sous son énorme voile fleuri couvrant aussi une partie d'un visage qui esquisse un léger sourire.

"C’est la guerre entre Burhan et Hemedti, qui l’a amenée ici", explique-t-elle, faisant référence Ahmed Fattah Al Burhan, et Mohamed Hamdan Daglo, alias Hemedti, deux généraux soudanais, dont les troupes s’affrontent pour le contrôle du pays depuis avril 2023.

Du Darfour à N'Djamena

Amira, la refugiée soudanaise avec d'autres refugiés soudanais avec qui elle partage sa maisonnette
Légende image, Amira, la réfugiée soudanaise avec d'autres réfugiés soudanais avec qui elle partage sa maisonnette.

C’est dans des circonstances presque similaires à celles de sa nouvelle colocataire, que Amira a décidé de quitter sa terre natale.

On est en 2017, la dame, devenue célibataire quelques années plus tôt, suite au départ "forcé" de son époux (chrétien) passé au Soudan du Sud, après l’indépendance de ce pays en 2011, vit avec son oncle au Darfour.

Une guerre entamée depuis 2003 dans cette région de l’ouest du Soudan fait rage. Amira voit l’horreur passer sous ses yeux. Son oncle, un fonctionnaire d’une organisation de défense des droits de l’homme est arrêté. "Avec sa femme et ses enfants, on les a tous tués, devant moi". Relate-t-elle.

Avant de poursuivre "quand j’ai vu ça, je ne pouvais pas rester. J’ai pris mes enfants et j’ai fui pour venir au Tchad. Et avec tout ce qui se passe là-bas, je comprends que tout ne sera plus comme avant, dans mon pays".

Elle garde comme séquelles de ces sévices, son auriculaire droit coupé, stigmate d’une guerre qu’elle a fuie. C’est en ce moment qu’elle retire son voile, pour montrer son cou. On y aperçoit une grosse rayure près de sa nuque. "On a voulu m’égorger", lance-t-elle, avec un léger sourire.

"J’avais le choix entre la Libye et le Tchad. J’ai pensé que le Tchad m’offrirait plus d’opportunités, et je suis venue ici".

Une fois de l’autre côté de la frontière, Amira tombe sur des âmes de bonne volonté. Elle s’installe d’abord à Abéché, la plus grande ville à l’Est du Tchad, où elle rencontre une restauratrice, qui l’aide avec des repas au quotidien.

Une autre lui propose un terrain agricole, sur lequel elle cultive légumes et fruits pendant quelques mois, afin de se prendre en charge. Elle fait aussi la connaissance d’un réfugié centrafricain, qui la met en contact avec des organisations internationales comme le Conseil Norvégien pour les Réfugiés, et le Haut-commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés.

N'Djamena : entre vie paisible et insécurité

Amira fait aussi du petit commerce pour survivre
Légende image, Amira fait aussi du petit commerce pour survivre.

Grâce à ces organisations, Amira se retrouve dans la capitale tchadienne. Elle dit avoir reçu gracieusement sa maison de personnes de bonne volonté. En face de ce domicile, la dame a un comptoir.

C’est là qu’elle expose ses produits fabriqués de ses propres mains. Des parfums produits localement, mais aussi de l’huile de chébé très utilisé pour des traitements capillaires, et des encens, entre autres, qu’elle vend en bordure de route.

À l’intérieur d’un camp dont la clôture jouxte son étal, elle cultive des légumes en saison pluvieuse qu’elle vent pour survivre, en plus d’une subvention mensuelle de 60.000 francs, que lui attribue le HCR, confie-t-elle.

Elle dit aussi avoir reçu une subvention de 250 mille francs CFA, d’une autre organisation. C’est avec ces revenus qu’elle a pu s’acheter une moto, avec laquelle elle se déplaçait, pour ses activités.

Mais l'engin a été à l’origine de ses malheurs. Amira s’est faite poursuivre par des agresseurs dans la rue, ils ont arraché sa bécane, l’affaire est pendante en justice, explique la quadragénaire, assise près de son foyer où mijotent ses deux marmites d’un repas qui servira de dîner.

Elle soulève légèrement sa jupe, pour nous montrer des cicatrices en dessous des genoux, issues de la rixe qui l’a opposé à ses agresseurs, dont elle dit avoir reçu des balles.

Lors des festivités de la dernière fête de ramadan, c’est une de ses colocataires qui a subi les affres de cette insécurité. La jeune dame est venue nous rencontrer, portant un masque, et son visage voilé.

Amira explique que cette dame, déjà victime de mutilation génitale féminine, s’est faite violer par ses agresseurs qu’elle a tenté de poursuivre dans la pénombre.

Dans la même soirée, un des enfants de la maison, âgé apparemment d’une dizaine d’années, fils de celle qui a subi le viol, qui l’accompagnait, a été grièvement blessé. Son front présente encore des cicatrices d’une grosse entaille.

C’est le résultat d’une chute, de la moto à bord de laquelle ils étaient, explique Amira, qui profite aussi pour baisser la culotte du petit garçon. On y voit une autre marque « c’est le couteau, on l’a poignardé, lorsque sa mère a tenté de résister », raconte la cheffe de famille.

«Sécurité ma fi dara », lance-t-elle en arabe soudanais, pour dire qu’il n’y a pas de sécurité dans sa zone. " Je voudrais d’abord dire qu’avec les autorités tchadiennes, je n’ai aucun problème, mais il y a des gens mal intentionnés qui nous causent d’énormes difficultés" poursuit-elle.

Cela la pousse à limiter ses sorties, elle avoue souvent passer des nuits blanches à se demander si elle doit sortir le lendemain matin, ou rester à la maison. "Je me demande toujours, et si je sors et qu’il m’arrive quelque chose, que deviendront mes enfants ?" s’interroge-t-elle.

Retour au Soudan ?

Situation globale des réfugiés au Tchad selon le dernier pointage des Nations Unies fin Avril 2024

Crédit photo, HCR

Légende image, Situation globale des réfugiés au Tchad selon le dernier pointage des Nations Unies fin Avril 2024.

Amira a aujourd’hui 48 ans. Il y a 6 ans, son mari chrétien avec qui elle a été séparée de force en 2011 est décédée. Dans sa belle-famille restée au Soudan, elle est accusée d’avoir pris la fuite avec les enfants, même si elle regrette le fait que sa fille aînée, restée au pays a été excisée.

Compte-t-elle se remarier et refaire sa vie au Tchad ? Elle éclate de rire, laissant apparaître sa dent artificielle dorée, qui orne sa dentition, avant de trancher "non… avec ce que j’ai vu de mes yeux, je ne compte pas me remarier".

Son objectif actuel, c’est d’éduquer ses enfants. "Si un jour un de mes enfants me ramène le bac, je serai contente. S’il trouve un boulot, cela me rendra encore bien plus heureuse, de savoir qu’il m’aidera lorsque je n’aurai plus la force de me prendre en charge" dit-elle, d’un air un peu triste.

Se souvenant que ses "enfants sont harcelés à l’école, les autres enfants leurs font de mauvais attouchements, cela m’a poussé à ramener mes filles à la maison".

À l’aube de la cinquantaine, Amira rêve d’une chose, retourner au Soudan, à condition que ''la paix y revienne". À défaut, elle continuera à rester dans cet îlot de paix parsemé d’embûches qu’est son pays d’accueil.